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est le sort de beaucoup d’œuvres artistiques, critiques à l’origine, mais aussitôt récupérées par l’objet même de leur critique, et ainsi rendues inoffensives et insignifiantes.
C’est à quoi j’ai pensé en revoyant à la télévision le film de Jan Kounen, 99 francs, sorti en 2007, à partir d’un roman de Frédéric Beigbeder. C’est une satire au vitriol du monde de la publicité, et par-delà du consumérisme et de la civilisation capitaliste. On pense aux thèses de Guy Debord sur la société du spectacle, aux Choses de Perec, ou à ce que dit Baudrillard dans Le Système des objets : la consommation est une pratique idéaliste totale, et abstraite en ce que s’y consomme sa seule idée même, aucun contact réel avec les choses ne pouvant s’y faire.
Pourquoi dis-je « désamorçage » ? Parce que ce film est passé sur une chaîne privée, qui tire ses revenus de la publicité. Le film a donc été entrecoupé de spots publicitaires, au point qu’on ne savait pas les distinguer des spots ironiques figurant dans le film lui-même, l’ensemble faisant un tout indiscriminable, et l’intention de dénonciation du cinéaste se dissolvant totalement par ce voisinage aplatissant.
On n’y pouvait plus lire le ton antiphrastique : c’est de la même façon que chez Andy Warhol la boîte de soupe Campbell, la bouteille de Coca Cola, peintes pour dénoncer l’aliénation du consommateur moderne, ont pu être récupérées et prises au premier degré, comme un péan à la gloire de la consommation. [v. t. 3 : Récupération]
J’ai pensé aussi au premier discours de Zarathoustra chez Nietzsche, dit « Le Prologue » : il dresse aux hommes leur propre tableau d’êtres petits et mesquins, unidimensionnels, pour les dégoûter d’eux-mêmes. Mais tragique est la méprise : la foule demande précisément à être ce « dernier homme » qui vient de lui être dépeint, ne veut en aucun cas du « Surhomme » qu’on vient de lui proposer !
De ma soirée télévisée, j’ai tiré la conclusion qu’aucun film, qu’aucune œuvre ne résistera à l’obscène règne de la publicité et de l’argent, au désir de faire malgré tout des affaires comme à l’habitude : Business as usual !
21 juillet 2016
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Pour lire le texte de Nietzsche sur le Dernier Homme, cliquer sur :
Désymbolisation et unidimensionnalité : Le dernier homme - Le blog de michel.theron.over-blog.fr
¨(Extraits de mes ouvrages) Voici le début du chapitre 7, " Désymbolisation et unidimensionnalité " de mon ouvrage Comprendre la culture générale, suivi du texte de Nietzsche sur le " dernier...