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n nous l’a tellement présenté comme négatif ou maléfique, que nous le pensons définitivement tel. Essentiellement désordonné, il faut toujours que lui succède l’ordre d’un monde organisé et seul délivrant la beauté, que les anciens Grecs appelaient cosmos. Mais que dire de ces cosmétiques restrictions opérées à la profusion fondamentale des choses et des êtres ? Et si la mise en ordre du monde brisait en nous l’élan vital ?
Cette photo est un fouillis chromatique. Nul choix apparent n’a été opéré dans l’agencement des couleurs et des formes. La netteté même semble aléatoire. L’ordre s’en est allé, et l’artiste n’en est plus le gardien. La clarté équilibrée a été remplacée par l’ivresse. Apollon a cédé la place à Dionysos.
Pourtant toutes ces graminées, qui dansent au moindre souffle du vent, peuvent nous plaire, et aussi nous donner une leçon. À quoi bon vouloir mettre de l’ordre partout ? Il n’y a pas pour nous attirer que la proportion satisfaisant la raison (proportio/ratio : même racine), maîtresse des formes immobiles. Il y a aussi le rythme élémentaire, que l’on ressent jusqu’au plus profond du corps. Le dieu indien Shiva, équivalent du Dionysos grec, est présenté comme dansant. Ce Roi de la danse (Natarâja) est le dieu de la destruction.
Mais le renversement de l’ordre est nécessaire, pour préparer sa réapparition. La destruction est créatrice. La mort même, destruction majeure, est tout à la fois ce qui prend la vie et ce qui la donne. La fleur vient du fumier, et le fumier vient de la fleur. La loi de la vie est un celle d’un grand cycle. Et cela justifie une danse universelle. Vision esthétique, plutôt que morale ou éthique, comme celle de nos catéchismes, si inhibante au demeurant.
Si donc, lecteur, tu trouves que cette photo manque d’ordre ou de maintien, n’oublie pas qu’un lac de retenue risque toujours l’éclatement de son barrage.