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n lui avait répété que l’homme n’est pas fait pour vivre seul, qu’il a besoin par exemple d’un prochain contre qui se blottir pour se tenir chaud la nuit : une bouilloire ou un édredon vivants, en quelque sorte. La Bible était péremptoire là-dessus, dans le livre de l’Ecclésiaste par exemple.
Pourtant ce catéchisme ne le convainquait pas. Il sentait en lui une autre évidence, une profonde certitude. Il n’était vraiment lui que seul, et en société il lui tardait toujours de se retrouver face à lui-même. Pour s’appartenir, il fallait pour lui se tenir à part.
Malgré tout, il avait envie aussi d’un ou d’une partenaire avec qui il pût échanger, car l’amour de la solitude n’est pas la recherche de l’isolement. Si le premier terme est vital, le second n’est pas une bonne chose, et contrevient à la nature de l’homme, qui est tout de même, quoi qu’on en dise, un animal social.
Il se décida donc à mettre une annonce, à la rubrique Rencontres d’un journal local. À la parcourir, il fut surpris de voir que les formulations étaient tout opposées à ce à quoi il avait pensé. Il lisait des phrases comme : « N’en pouvant plus de solitude, cherche un partenaire pour la rompre, etc. » Mais c’est réifier autrui, se disait-il, c’est l’instrumentaliser, c’est le traiter au rebours de toute morale comme un moyen, et non comme une fin. Bref, mieux vaut alors prendre un animal de compagnie, un poisson rouge, que sais-je ?
– Voyons, que vais-je écrire ? Après avoir réfléchi, voici quelle fut son annonce :
Solitaire, aimant la solitude, cherche autre solitaire pour l’habiter ensemble.
L’annonce parut, et nulle réponse ne lui parvint.
C’est fatal, se dit-il, on a cru à un canular, et on ne s’est pas occupé de répondre.
Déçu malgré tout, il ne répéta pas sa démarche, manifestement inefficace. Et il décida désormais de s’abandonner au divin hasard...
... Le voici assis seul sur un banc, dans un jardin public. Que d’histoires savent-ils, ces bancs ! Ah s’ils pouvaient parler, que ne nous diraient-ils pas sur le cœur humain !
La lecture qu’il a commencée, il l’interrompt maintenant, et pose le livre ouvert à côté de lui, titre en-dessus.
S’approche alors une jeune femme, toute seule aussi. Elle fixe le livre sur le banc. Elle lui dit : « Où en êtes-vous ? »
Il reprend le livre, Lettres à un jeune poète, de Rilke. Il le rouvre à la page où il s’est arrêté, lui montre le passage, et l’invite à s’asseoir à son côté.
Ils lisent alors ensemble :
L’amour sera deux solitudes
qui se protègent, se bornent et se rendent hommage.
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> Cette photo et ce texte sont extraits de mon ouvrage Amours, édité chez BoD. On peut le commander directement sur le site de l'éditeur. Pour plus de renseignements, cliquer sur l'image ci-après :
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Remarque > Amours forme un diptyque avec l'ouvrage Savoir aimer - Entre rêve et réalité, édité aussi chez BoD. Il illustre de façon littéraire ce que le second analyse de façon plus philosophique. Pour plus de renseignements, cliquer sur l'image ci-après :
> On peut aussi se procurer ce livre en le commandant en librairie (diffusion SODIS), ou sur les sites de vente en ligne.