Tout texte littéraire se rattache à un texte antérieur, de façon plus ou moins consciente. J'ai entrepris de rattacher plusieurs de mes textes et de mes livres à un texte fondateur de notre culture, celui de la Bible. Je le vois comme un monument de Littérature, dont les parties se renvoient les unes aux autres, tel celui du Nouveau Testament, qui est une réécriture inventive du Premier. Inventer signifie ici et à la fois trouver de l'ancien et ajouter du nouveau. Le texte biblique est ainsi toujours fait d'emprunts et de citations. Il est instituant souvent, discutable parfois. Dans ses marges j'ai entrepris ici mes propres variations.
Son père était mort, depuis longtemps. Ou bien simplement il était mort pour lui, qui sait… Il tenait à sa mère, et aussi elle le tenait, le détenait. Sous ses prévenances elle l’étouffait, l’empêchait de vivre. D’elle il tenait aussi sa paralysie, et dans son âme et jusque dans son corps souffrant aussi, à mesure qu’il avançait en âge…
Toute nouveauté, toute rencontre effrayait, comme tout ce qui dérange. Il ne pouvait sans doute en être autrement.
Sur ses épaules il portait le poids du monde. Le fardeau des peurs nouait son cou, et à petit feu il mourait, Atlas arthrosique et craintif.
Le grand feu, il avait cessé de l’espérer, abandonné des autres, en qui il ne croyait plus. Y avait-il jamais cru ?
Il avait l’impression d’être très vieux, d’avoir tout connu, d’être mort, même en vie, sans plus d’envie.
… Le lit l’accueille. Draps frais et doux. Étendu, des mains le massent, doucement, le palpent, le tâtent. Un corps sur lui s’allonge, deux jambes se nouent à ses reins. Il a chaud, il est bien, s’abandonne. Il gémit heureusement, s’arrache à ce mort qu’il se sentait, au froid qui glaçait ses membres. Des paroles résonnent à son oreille, comme une prière. Et le passé radieux revient vers lui, comme une absolution. Il voit maintenant l’enfant qu’il était, qui l’attend. À ce temps d’autrefois il s’enfuit, se sauve. Et ainsi il est sauvé. Il renaît.
… et l'âme de l'enfant revint au-dedans de lui, et il fut rendu à la vie.*
* 1 Rois, 17/17-24 : Après ces choses, le fils de la femme, maîtresse de la maison, devint malade, et sa maladie fut si violente qu’il ne resta plus en lui de respiration. Cette femme dit alors à Élie : « Qu’y a-t-il entre moi et toi, homme de Dieu ? Es-tu venu chez moi pour rappeler le souvenir de mon iniquité, et pour faire mourir mon fils ? » Il lui répondit : « Donne-moi ton fils. » Et il le prit du sein de la femme, le monta dans la chambre haute où il demeurait, et le coucha sur son lit. Puis il invoqua le Seigneur, et dit : « Seigneur, mon Dieu, est-ce que tu affligerais, au point de faire mourir son fils, même cette veuve chez qui j’ai été reçu comme un hôte ? » Et il s’étendit trois fois sur l’enfant, invoqua le Seigneur, et dit : « Seigneur, mon Dieu, je t’en prie, que l’âme de cet enfant revienne au dedans de lui ! » Le Seigneur écouta la voix d’Élie, et l’âme de l’enfant revint au dedans de lui, et il fut rendu à la vie. Élie prit l’enfant, le descendit de la chambre haute dans la maison, et le donna à sa mère. Et Élie dit : « Vois, ton fils est vivant. » Et la femme dit à Élie : « Je reconnais maintenant que tu es un homme de Dieu, et que la parole du Seigneur dans ta bouche est vérité. »
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Ce texte est extrait de mon ouvrage En marge de la Bible - Fictions bibliques I, édité chez BoD. Illustré de dessins originaux de l'artiste Stéphane Pahon, il est disponible en deux formats, papier et livre électronique (e-book). On peut en feuilleter le début en cliquant ci-dessous sur Lire un extrait. On peut aussi l'acheter, et voir les autres titres de la collection à laquelle il appartient, en cliquant sur Vers la librairie BoD.
Chaque livre est une réécriture : il s'écrit dans les marges d'un autre, ou d'autres. Celui-ci s'inscrit dans les marges du Livre par excellence, la Bible, dont il actualise certains passages. Ces actualisations servent parfois l'intention du texte initial, mais parfois aussi en problématisent le contenu, quand il n'a plus semblé admissible pour un esprit libre et indépendant. L'appel constant à la sensibilité, propre à la littérature, permet ainsi de corriger ce que (...)
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