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Le blog artistique de Michel Théron
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À l’écoute de la psyché

À l’écoute de la psyché

À l’écoute de la psyché
À l’écoute de la psyché
L’égaré ­– Vraiment je n’y comprends rien. J’ai beau chercher, tourner dans ma tête, je ne vois dans quel sens me tourner. Faut-il retourner l’image ? Par quel bout la prendre ? Comment a-t-elle été prise ? Éclairez-moi au moins.
Le guide – Est-ce si important ? L’aimez-vous ?
L’égaré ­– Peut-être. Mais aussi j’aimerais bien savoir…
Le guide – Quoi ?
L’égaré ­– Ce qu’elle représente.
Le guide – Évidemment, et nous y voilà encore... (À part, soupirant) Ils sont tous pareils…
L’égaré ­– Est-ce donc que j’ai tort ?
Le guide – Je ne sais. Peut-être moi-même ai-je été comme vous autrefois… (Rêveur) Faut-il rire de ce qu’on a quitté ?
L’égaré ­– Que de mystères… Venez-en au fait.
Le guide – Soit. Décrivez-moi ce que vous voyez. Objectivement, sans rien précipiter.
L’égaré ­– Des zones lumineuses partant en tous sens. C’est très abstrait…
Le guide – Mais encore ? Soyez plus précis.
L’égaré ­– De la lumière à travers des rideaux, à droite et à gauche.
Le guide – La source est-elle la même ? Regardez bien.
L’égaré ­– Maintenant que vous le dites, il me semble qu’elle vient de droite, et se reflète à gauche.
Le guide – Où ?
L’égaré ­– Apparemment dans un miroir.
Le guide – Fixe ?
L’égaré ­– Peut-être oblique, ou incliné…
Le guide – Tournant donc autour d’un support vertical…
L’égaré ­– (triomphant) Je le vois bien maintenant, au moins son début, en bois tourné...
Le guide – … lui aussi. Fin de la poésie. Tout est net pour vous maintenant – comme dans la photo, remarquez-le bien (mais c’est par là même qu’elle vous aveuglait). Mais peut-être cette décision que vous faites maintenant est-elle un meurtre : décider et occire, trancher, c’est pareil. Vous distinguez bien toutes choses, différenciez les éléments, annulez leurs équivalences. Mais réfléchissez qu’il y a du tragique dans toute séparation. Que gagnerez-vous à séparer la lumière de son reflet ? Peut-être assassinerez-vous toutes les confusions possibles, tous les transferts, les délocalisations les métaphores…  (Résigné) Enfin, si vous y tenez…
L’égaré ­– Mais pourquoi ai-je mis si longtemps à comprendre ?
Le guide – Pour ce que vous voulez dire, c’est dû à l’utilisation du grand angle qui ouvre davantage le champ que la vision ordinaire immobile. Tout se « déforme » comme on dit. Mais il vaudrait mieux dire que tout prend une autre forme et que des nouvelles rencontres peuvent se faire, ici grâce à l’inversion de perspectives et de hiérarchies respectives habituelles entre la fenêtre et le miroir. Le proche et très agrandi, et le moins proche rapetissé. – Mais pour revenir à votre verbe, il y a peut-être autre chose qu’il faut comprendre...
L’égaré ­– Quoi ?
Le guide – Comment s’appelle ce type de miroir tournant ou pivotant ?
L’égaré ­– Il me semble que c’est une psyché.
Le guide – Et que veut dire psyché, en grec ?
L’égaré ­– L’âme. – Mais je ne vois pas du tout ce que ces considérations sur les mots apportent à ce que je vois.
Le guide – Soit. Vous m’avez bien dit qu’au départ fenêtre et miroir reflétant ne si séparaient pas pour vous.
L’égaré ­– Oui.
Le guide – Comment donc un miroir qui se contente de refléter, un simple objet fonctionnant mécaniquement sans réfléchir, comme dit l’autre, peut-il offrir à nos yeux un spectacle si probant, si chargé de poids et de substance, qui nous le fait confondre avec celui du monde ?
L’égaré ­– Je ne vous suis pas.
Le guide – Le miroir est-il trompeur ?
L’égaré ­– Évidemment.
Le guide – Mais il vous a trompé ?
L’égaré ­– Bien sûr.
Le guide – Et vous en avez été heureux, au moins en voyant la photo de façon simplement formelle, indépendamment de toute signification ?
L’égaré ­– (Un temps) Peut-être…
Le guide – Et la fenêtre, y voyez-vous le monde ?
L’égaré ­– Je le devine en tout cas.
Le guide – Mais elle vous suffit, et vous vous y plaisez.
L’égaré ­– Oui, j’aime bien me mettre à ma fenêtre, et regarder dehors.
Le guide – Le plaisir est-il pareil quand vous êtes dehors ?
L’égaré ­– (Un temps) Peut-être pas…
Le guide – C’est qu’il suffit d’un encadrement ou d’une embrasure, comme pour le miroir son contour en bois, isolant, séparant du monde l’image du monde, pour mettre en valeur, en relief, ce qui autrement nous accablerait pas son aléatoire profusion.
L’égaré ­– Mais le monde lui-même, il me semble…
Le guide – (Interrompant) Le monde n’est rien en lui-même. Il n’est que ses propres images, toujours changeantes, toujours séduisantes. C’est la maya des Indiens, vue non pas comme un leurre, mais comme un enchantement ou une ivresse. Mais surtout les images des choses les plus intéressantes sont celles s’offrent à nous, comme ici, encadrées. Elles sont telles qu’à certains moments, privilégiés, séparés des autres, il nous semble qu’elles sont arrachées au hasard. Notre part propre, celle de l’artiste au premier chef, est cette mise en scène des images du monde, qui finissent par triompher de lui.
L’égaré ­– Et l’âme, dont vous parliez, là-dedans ?
Le guide – Son rôle est de faire ce découpage, cette mise en scène, cette représentation. Sans ses images, qui finissent par devenir ses modèles, le monde ne serait que chaos, et l’homme qu’un animal.
L’égaré ­– Vous exagérez…
Le guide – Non. On meurt de ne pas avoir d’image ou de modèle sur quoi on puisse se forger et se construire, de définition essentielle, d’archétype plus probant que ce que nous offre la perception réelle des choses. Miroir et fenêtre, qui joue aussi ce rôle (si on y voit, on peut s’y voir), sont interchangeables : tout s’y devine et s’y choisit. La lumière y est captée, comme enclose, essentialisée. À ce jeu il faut se laisser prendre, comme la lumière au miroir. Rien n’y est subi, et c’est cela qui nous fait vivre. Le vampire, un mort vivant, ne se reflète dans aucun miroir. Et on voile les miroirs dans les chambres des morts. La leçon est à retenir.
L’égaré ­– Tout de même, en venir là d’où nous sommes partis… Où nous trouvons-nous maintenant ?
Le guide – À l’écoute de la psyché.
2 août 2002
 
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Vous pouvez voir d'autres dialogues de ce type dans mon ouvrage Tels ils marchaient dans les avoines folles - Dialogues sur le visible, édité chez BoD :