L'Art bananier II

9 Septembre 2023

D.R. L'homme y voit une «performance artistique» qu'il intitule Hungry Artist (Artiste ayant faim).[©Cindy Ord / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP]

C

ette fois-ci, la banane est unique, elle est aussi accrochée au mur du Musée de Miami, à la fin du printemps 2019. Œuvre d’un artiste italien connu, elle vaut maintenant 120.000 dollars et elle n’a pas de socle.

S’approche maintenant un autre artiste, qui la décolle du mur blanc, la pèle et la mange devant une foule de curieux. Il annonce à tous qu’il vient de faire une « performance artistique » qu’il intitule Hungry Artist (Artiste ayant faim), avant de d’être escorté à l’abri des regards par la sécurité.

Quelques jours plus tard, lors d’une conférence de presse, il revient sur son coup d’éclat. Il explique avoir « attendu d’avoir faim » avant de déguster la fameuse banane. Bien que ce geste puisse lui valoir des ennuis judiciaires, il se targue d’être « le premier artiste à manger l’art d’un autre artiste » De toute façon les ennuis judiciaires ne seront rien à côté du buzz qu’aura fait son geste et de la réputation qu’il va en tirer en termes de notoriété : la seule preuve de supériorité qui vaille et soit reçue aujourd’hui.

Et même le préjudice dont est victime le Musée est minime, puisque, comme l’indique son conservateur à propos du geste de l’iconoclaste : « Il n’a pas détruit l’œuvre. La banane, c’est l’idée ». Ce n’est pas la banane qui est l’œuvre, puisque d’ailleurs elle est changée régulièrement sur son mur pour éviter qu’elle ne pourrisse. Et de fait, un quart d’heure après le haut-fait du profanateur une nouvelle banane a été scotchée au mur. Non, ce qui fait l’œuvre est le certificat d’authenticité, c’est-à-dire un bout de papier portant la signature de l’artiste, en fait simplement de celui qui a eu l’idée d’exposer une banane. Si ce document n’existe pas, la banane retombe au néant. L’œuvre se réduit à une idée et à une signature, attestant la propriété de cette idée. Adhère qui peut ![i]

Ingérée, puis digérée, de toute façon le sort de la banane est de finir aux lieux d’aisance. Il ne lui reste plus, pour parachever ses aventures, qu’à se retrouver dans ce WC en or massif, du même artiste, présenté comme une œuvre égalitariste : « de l’art du 1% (comprenant les personnes les plus riches de la planète) pour les 99 autres pour cents ». Ce trône donc ultra-précieux pour les ultra-riches a été volé en Angleterre. Juste retour des choses apparemment...[ii]

... Et crazy world !

[i] Sources :

– Expo Maurizio Cattelan, Miami 2019 : www.le figaro.fr, 08/12/2019.
–
Expo Maurizio Cattelan, Séoul 2023 : www.le figaro.fr, 02/05/2023.

[ii] WC en or massif de Maurizio Cattelan, volé en Angleterre : lien.

***

Ce texte est tiré de mon dernier livre, paru chez BoD , Histoires vraies.

Ce sont des petites fictions écrites à partir d'histoires véridiques, que l'on pourra trouver dans ma Petite philosophie de l'Insolite (BoD, 2021), et auxquelles on pourra si l'on veut se reporter.

Toujours bizarre, souvent cocasse, mais aussi parfois tragique, l'ensemble justifie il me semble la remarque d'Hamlet chez Shakespeare : « Il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre, Horatio, que n’en rêve votre philosophie. »

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