La lumière y est très belle, oblique, orangée le soir. Tout se découpe avec netteté, et c’est le bonheur du photographe par exemple, qui n’aime pas la lumière estivale, zénithale, écrasant tous les plans, comparable à ce Démon qui ravage à midi dont parlent les Psaumes (91/6). Dans ce « Démon de Midi » je vois quant à moi un type d’acédie, la dépression ordinaire de la mi-vie, quand socialement on a tout, et qu’on s’aperçoit qu’en réalité on n’a rien. Ce qu’on a, on ne l’a pas rêvé ; et ce qu’on a rêvé, on ne l’a pas.
Lumière du soir : j’aime ce relief singulier qu’y prennent les choses. Comme si elles n’avaient d’intérêt qu’en leur début (mais alors pour les voir il faut être « du matin », ce que je ne suis pas !), ou en leur fin.
La nature met ses plus beaux atours avant de mourir. La vigne vierge saigne aux derniers rayons du soleil, des éclairs percent les transparences, et tel arbre se résout, à terre, en des pétales d’or. Heureux celui sur cette terre qui a pu voir ces choses !
… Heureux, ou malheureux ? « Est beau ce qui désespère », disait Valéry. Très vite ma contemplation se mélancolise : que n’ai-je été, et que ne serai-je dans ma vie toujours à ce niveau ! Il y a dans la beauté absolue quelque chose de catastrophique. On y meurt, car on y survit.
Qui ne se sent ici-bas en exil d’un ancien Royaume, auquel il appartient mais qu’il a perdu ? Nous sommes d’ailleurs, allogènes. Et la beauté nous fait pressentir, selon le mot de Baudelaire, « les splendeurs situées derrière le tombeau ». Mais son aguichage, son teasing est meurtrier. Elle frappe, déchire, ravage, et nous laisse ensuite à notre médiocrité :
Il est des visages
Dont la perfection
Laisse en héritage
Le mal qu’ils nous font...
Bien sûr ce sentiment de transcendance accablante n’est pas à la mode, en une époque de positivité, où l’on confond le beau avec l’agréable ou le joli, où l’on se trouve si bien là où l’on est, et où l’on aime finalement ce qui « ne casse rien ». Qui sent encore que le vrai beau est déchirant, ou, selon l’expression de Rilke, « le commencement du terrible » ? Bien plutôt on se méfiera aujourd’hui de qui le dirait.
Peut-être alors faut-il écouter d’anciennes voix, où souffle un esprit comparable : « Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui est à lui ; mais parce que vous n’êtes pas du monde, et que je vous ai choisis du milieu du monde, à cause de cela le monde vous hait. » (Jean 15/19)
5 novembre 2009
***
Ce texte est extrait du premier tome de ma Petite philosophie de l'actualité, éditée chez BoD. Il est disponible en deux versions, papier et électronique (e-book). Pour en feuilleter le début, cliquer ci-dessous sur Lire un extrait. Pour l'acheter sur le site de l'éditeur, et aussi pour voir les différents tomes de la collection, cliquer sur Vers la librairie BoD. - Notez que ce livre est aussi disponible sur commande en librairie (diffusion SODIS), et sur les sites de vente en ligne.
à propos du blog
Ce blog vient en complément de mon blog principal généraliste : www.michel-theron.fr - Il comprend spécifiquement des productions ayant trait à la Littérature et à l'Art : poésies, fictions et micro-fictions, réflexions diverses sur l'esthétique, photographies et vidéos.