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isitant une exposition de peinture, notre actuel Président*, devant un tableau de Fernand Léger, a dit : « Léger, c’est cher ? » Puis, devant un tableau de Klein : « Klein, plus que Léger ? » (Source : Télérama n° 3235, 11 janvier 2012, p. 8, avec photo de la scène).
On a beau s’attendre à tout, on reste effaré devant tant d’inculture. Télérama parle, lui, de « sottise ». Les deux sont combinés, ici, je pense. Et on a honte d’être gouverné par ce nouveau Monsieur Jourdain, surtout venant après des Présidents cultivés, comme Georges Pompidou, François Mitterrand, tous deux amoureux des livres et pratiquant l’écriture, Jacques Chirac aussi, amoureux des arts extrême-orientaux et « premiers ». Sans parler du général de Gaulle, véritable écrivain.
Ce qui est grave, au fond ce n’est pas tant de ne pas s’y connaître en matière artistique. À tout prendre, je préfère l’ignorant simplet, celui qui, tel Jean-Pierre Bacri dans Le Goût des autres d’Agnès Jaoui, ne trouverait rien de mieux à écrire sur le livre d’or d’une exposition que la naïve formule : « C’est bien peint ! »
Non, la faute ici est de juger les œuvres uniquement d’après leur cote sur le marché, leur valeur vénale, ce qui montre bien les seules valeurs à quoi l’on adhère, celles de l’argent. Le reste ne compte pas. C’est le même Président d’ailleurs qui ricanait devant La Princesse de Clèves mise au programme d’un concours administratif : il voulait mettre les rieurs de son côté en ridiculisant, de façon démagogique, les intellectuels.
Mais on se demande alors quelle politique culturelle peut faire celui qui ne croit qu’au pouvoir de l’argent. Et ce que doit penser le ministre actuel de la culture, qui figure à côté du Président dans la photo de Télérama…
C’est Charles Péguy qui parlait autrefois du « règne inexpiable de l’argent », par quoi se caractérisait pour lui, pour la première fois dans l’histoire occidentale, la société qu’il voyait prospérer sous ses yeux. Traditionnellement les artistes, les hommes de culture, sont étrangers à ce monde. Au moins faut-il penser qu’ils devraient l’être... Car art et création se prostituent toujours, à ne croire en fait de valeur qu’à celle du prix ou du tarif.
... Mais sans doute notre Président se contente-il ici d’incarner l’air du temps…
2 février 2012
* Nicolas Sarkozy (article de 2012)