Le Jardin des supplices

24 Novembre 2022

O

n cite souvent la phrase : L’art imite la nature. Et on y comprend parfois que l’art copie les productions de la nature. Mais on ne voit pas alors que le résultat est trivial et facile à obtenir, comme le montre aujourd’hui encore l’usage ordinaire de la photographie.

En fait la phrase ci-dessus doit être comprise autrement. Si l’art imite la nature, c’est qu’il en reproduit non les résultats, mais les opérations. Elle crée, donc il crée lui aussi. Il la représente, ce qui est autre chose que la copier. Finalement elle ne fait que proposer des éléments, et l’artiste dispose – et, comme ici, compose. Elle n’est qu’un dictionnaire, dans lequel on puise des matériaux, et il ne viendrait à l’idée de personne de copier le dictionnaire.

Mon jardin me présente des fleurs, que comme tout le monde j’aime telles que je les vois. Je peux les représenter fidèlement, leur rendre hommage ainsi en permettant leur reconnaissance, etc. Mais aussi parfois j’aime à les supplicier. Entendez à en faire autre chose que ce qu’elles me proposent. Pourquoi ? Parce que je cherche à voir au-delà du seul visible immédiat d’autres perspectives, explorer les chances (et les risques) d’autres visions.

Les iris peuvent donc se déformer en d’autres possibles, et quitter leur première vision. Évidemment on y perd la naïveté de la reconnaissance et l’Einfühlung corrélative, la projection empathique. Mais on y trouve du nouveau, qui empêche toujours l’esprit de s’endormir.

Outre les trajets que je fais dans mon jardin, j’en fais d’autres aussi dans mon esprit : de mes fleurs initiales que je n’oublie jamais (voyez dans le petit cadre à gauche de la photo le sujet dont je suis parti), à d’autres visions que j’en peux avoir (voyez en regard les deux versions abstraites qui en proviennent). Les deux sont nécessaires, l’appel à autre chose et le rappel de ce que c’est. Ces constants trajets sont nécessaires pour moi dans toute création, car il ne faut pas y court-circuiter l’indispensable mémoire.

***

Cette photo et ce texte sont tirés de ma collection d'ouvrages Petites méditations photographiques, 5 tomes parus, disponibles en version papier et en version électronique (e-book). On peut feuilleter le début de chaque tome en cliquant sur : Lire un extrait. On peut acheter chaque volume sur le site de l'éditeur en cliquant sur : Vers la librairie BoD :