Attente

l est étrange comme un espace vide semble toujours n’être que provisoire, et susciter l’attente de quelque chose ou de quelqu’un qui vienne le combler. Cela est vrai de la disparition des êtres. Le mot mort ne dit rien, mais une chaise vide dit tout.

Qu’attestent les chaises de ce bar ? Une inhabitation passée ? L’attente d’un retour ? Permettent-elles d’ima­giner la pièce remplie, avec le brouhaha des consommateurs, la musique d’ambiance, la fumée des cigarettes ? Peut-être le voudrait-on, si véhément semble leur appel.

On n’est dans la vie qu’en attente ou en regret. L’enfant attend d’être grand, et l’adulte pleure sur son enfance. Tout cela n’est que désir, desiderium, avec ses deux faces : une fois disparue l’étoile sidérante (sidus), ne restent que l’attente de ce qui manque, et le regret de ce qu’on n’a plus.

Il ne faut pas mépriser l’attente, elle nous constitue et nous institue. Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? Certes le soleil poudroie, et l’herbe verdoie. Mais malgré cette ironie on ne peut s’empêcher de fixer un point au fond de l’horizon, d’où viendra le salut, quelque chose enfin qui justifie de vivre.

Mais on n’y voit que voile noire, jamais voile blanche. Et l’attente est toujours déçue.

... Alors peut apparaître vraiment le fond des choses. Les tables ne sont que des tables, et les sièges aussi. Il n’y a rien d’autre que ce qu’on voit. La perception est purement tautologique. Rien n’est caché derrière cette pièce qui porterait vers un ailleurs ou un autrement. Aucune allégorie ne s’y peut trouver. Brouhaha, musique et fumée s’évanouissent. Il n’y a plus qu’un morne et désespérant être-là.

Métaphysiquement, l’attente est sans objet. Et ce qu’on voit ici, toutes projections sécurisantes ôtées, est l’image du vide.

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Cette photo et ce texte sont extraits du tome 2 de mes Méditations photographiques (BoD, éd.). Pour des renseignements sur cet ouvrage, cliquer sur l'image ci-dessous :