Tout texte littéraire se rattache à un texte antérieur, de façon plus ou moins consciente. J'ai entrepris de rattacher plusieurs de mes textes et de mes livres à un texte fondateur de notre culture, celui de la Bible. Je le vois comme un monument de Littérature, dont les parties se renvoient les unes aux autres, tel celui du Nouveau Testament, qui est une réécriture inventive du Premier. Inventer signifie ici et à la fois trouver de l'ancien et ajouter du nouveau. Le texte biblique est ainsi toujours fait d'emprunts et de citations. Il est instituant souvent, discutable parfois. Dans ses marges j'ai entrepris ici mes propres variations.
Il vient vers moi, me sourit de toutes ses dents. Il a quitté sa balançoire, a vu sûrement quelque chose, sur le banc où je suis assis. Peu importe. Ce sourire sanctifie l’automne, et le jardin public.
– Viens ici, laisse tranquille le monsieur…
La voix est aigre, criarde. Rompue la magie, brisé l’enchantement. Et à la parole se joint le geste. Sans ménagement, une main tire l’autre : la grande entraîne la petite, tout le bras est arraché. La brutalité est telle qu’il titube. Peut-on rudoyer les anges ?
– Reste-là, ne bouge pas, etc.
Je n’écoute plus, je pense à ce qu’on m’a dit à moi aussi. Ne parle pas à des inconnus, garde réserve et modestie, baisse les yeux, détourne le regard. Sois comme les grands. Si chacun se sourit sans se connaître, où ira-t-on ?
Oui, où ?
Sois normal…
Normal ? Ignorer son prochain, ne rien voir. La cécité est-elle normale ?
Sinon, de quoi est-ce qu’on aurait l’air ?
Mais de quoi avons-nous l’air ?
… Des pleurs soudain. Mais qu’as-tu donc à tomber ? Fais attention… Évidemment les pleurs redoublent…
– Regarde, tu t’es tout sali. Et j’aurai à te laver ce soir. Tiens, tu l’as bien mérité…
La gifle ne s’occupe pas de la souffrance de la chute. Et s’il s’était fait mal en tombant ?
Les adultes tuent les innocents. Ne pouvant trouver celui qu’ils cherchent, qui se dérobe, qu’ils ont perdu : eux-mêmes, avant ? De dépit ils entrent en grande colère* : ils se vengent.
Mais de tout cela ils ne se doutent pas. Parents, éducateurs, professeurs, vous assassinez tout ce qui est à votre merci. Qui cherchiez-vous donc, avant ? Et qui mettez-vous à mort, faute de l’avoir trouvé ?
Laissez-moi rêver, ou cauchemarder. Aujourd’hui j’ai entendu des cris, des pleurs et de grandes lamentations…*
Ce cauchemar est sans fin. Tous ces enfants, ce massacre des innocents... Peut-on en guérir ?
Et je n’ai pas voulu être consolé, parce qu’ils ne sont plus.*
… Une feuille tombe sur mon livre. C’est bien l’automne. Déserte la vie, s’installe la mort. Le ciel déjà ne sourit plus.
Pas plus que l’enfant qui est venu vers moi.
***
Ce texte est extrait de mon ouvrage En marge de la Bible - Fictions bibliques I, édité chez BoD. Illustré de dessins originaux de l'artiste Stéphane Pahon, il est disponible en deux formats, papier et livre électronique (e-book). On peut en feuilleter le début en cliquant ci-dessous sur Lire un extrait. On peut aussi l'acheter, et voir les autres titres de la collection à laquelle il appartient, en cliquant sur Vers la librairie BoD.
Chaque livre est une réécriture : il s'écrit dans les marges d'un autre, ou d'autres. Celui-ci s'inscrit dans les marges du Livre par excellence, la Bible, dont il actualise certains passages. Ces actualisations servent parfois l'intention du texte initial, mais parfois aussi en problématisent le contenu, quand il n'a plus semblé admissible pour un esprit libre et indépendant. L'appel constant à la sensibilité, propre à la littérature, permet ainsi de corriger ce que (...)
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