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Le blog artistique de Michel Théron
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Le Misanthrope confondu

Le Misanthrope confondu

Fictions bibliques
D.R.

– Donc tu n’aimes pas les hommes, et pour toi c’est comme s’ils n’étaient pas. Véritablement tu ne les vois pas. N’est-ce pas vrai ?

– Si. Et je crois bien que j’ai raison…

– Le crois-tu vraiment ? Et d’abord qu’est-ce qui te déplaît en eux ?

– À peu près tout. Leur hypocrisie, leur lâcheté, leurs abandons, leurs reniements… Au fond, je pense à ce sage antique, qui non plus ne les aimait pas. Ce philosophe cynique… Ce…

– Diogène ?

– C’est ça. Il se promenait dans Athènes avec à la main, en plein jour, une lanterne allumée. Et sais-tu ce qu’il disait ?

– « Je cherche un homme ! »

– Exactement. Il voulait dire qu’il cherchait quelqu’un qui fût digne du nom d’homme. Et il n’en trouvait pas.

– Mais lui il regardait les autres, il les scrutait. Et toi tu ne les vois même pas. Vis-à-vis d’eux, littéralement tu es aveugle.

– C’est vrai. Mais comment faire autrement ?

– Peut-être pourrais-tu essayer de les voir, non tels que tu les imagines en les condamnant ainsi, mais tels qu’ils sont. Ne peux-tu faire un effort ?

– Soit, j’essaie…

– Et alors ?

– C’est encore bien flou. Mais maintenant c’est un peu différent. J’aperçois les hommes, mais j’en vois comme des arbres, et qui marchent.*

– C’est normal. Tu ne peux tout voir clairement d’un coup. Tu dois t’habituer petit à petit. Progressivement. C’est une longue tâche, après s’en être éloigné, de revenir vers eux. Sois patient !

– Soit, c’est bien pour te faire plaisir…

– Songe qu’il y a dans l’homme autant à admirer qu’à mépriser. Tes contemporains te déçoivent, et cela je le comprends bien moi-même. Mais ce n’est pas une raison pour t’en séparer. Si j’étais un médecin, ou bien un romancier, je chercherais s’il n’y a pas quelque chose dans ton passé qui expliquerait ta désocialisation, le refus que tu fais de leur compagnie. Mais je m’en tiendrai là : foin d’inventions ! – Sois maintenant objectif. Ne peux-tu les voir autrement ? Regarde-les fixement…* Est-ce pareil ?

– Pas tout à fait. Je les vois autrement... Et même il me semble maintenant que je vois tout distinctement.*

– Et comment expliques-tu cela ?

– Je ne sais trop. C’est si brutal ! En tout cas il y a si longtemps que je n’ai parlé avec quiconque ! Tu m’as pris la main, et tous deux nous avons parlé : je te sais gré d’avoir ménagé ce tête-à-tête. Nous nous sommes éloignés des autres, et je suis heureux qu’aucun témoin ne nous ait entendus.

– On a si vite fait de parler de miracle ! Mais tu vois qu’à la différence de ce qu’on croit et dit, un changement, si complet soit-il, ne vient que petit à petit. C’est une question d’accou­tumance…

– Me voilà bien embarrassé. Qu’est-ce qu’ils vont dire de mon nouvel état ?

– Surtout ne le chante pas sur les toits. Sois prudent. Reviens simplement chez toi. Reviens à toi, à ton toi profond. Tu as changé, c’est sûr, au fond de toi. Mais ne te vante pas de ce qui t’est arrivé. C’est bien assez que cela se soit produit. Les plus grandes choses se suffisent à elles-mêmes, et on les détruit si on les claironne.

 

* Marc, 8/22-26 : Ils se rendirent à Bethsaïda ; et on amena vers Jésus un aveugle, qu’on le pria de toucher. Il prit l’aveugle par la main, et le conduisit hors du village ; puis il lui mit de la salive sur les yeux, lui imposa les mains, et lui demanda s’il voyait quelque chose. Il regarda, et dit : « J’aperçois les hommes, mais j’en vois comme des arbres, et qui marchent. » Jésus lui mit de nouveau les mains sur les yeux ; et quand l’aveugle regarda fixement, il fut guéri, et vit tout distinctement. Alors Jésus le renvoya dans sa maison, en disant : « N’entre pas au village. »

 

***

Le texte ci-dessus est extrait du tome I de mon ouvrage Fictions bibliques, édité chez BoD. Il est illustré de dessins originaux de l'artiste Stéphane Pahon. En voici la présentation en Quatrième de couverture :

Ce livre propose des libres lectures de passages bibliques. Elles servent parfois l'intention du texte initial, mais parfois aussi en problématisent le contenu, quand il n'a plus semblé admissible pour un esprit indépendant. L'appel à la sensibilité, propre à la littérature, permet de corriger ce que l'exégèse et la théologie traditionnelles peuvent avoir de dogmatique.

Pour plus de renseignements, et commander le livre sur le site de l'éditeur, cliquer sur l'image ci-dessous :

Ce livre est aussi disponible sur commande en librairie, ainsi que sur les sites de vente en ligne.