Je ne sais où s’arrêtera celle de l’art contemporain. Je me demande même si ce mot d’« art » peut être encore employé aujourd’hui.
Ainsi on parle d’un petit garçon allemand de sept ans, déjà traité de « mini Picasso », qui réalise des tableaux vendus dans le monde entier pour plusieurs milliers d’euros. Sa technique est simple : il applique des jets de peinture sur la toile muni des gants de boxe de son père. Ce dernier est aussi l’agent de son rejeton, s’occupe de ses affaires à temps plein, et en a fait une marque à succès. À chaque exposition sont vendues des casquettes ornées de la signature de l’« artiste ». Les critiques devant lui sont béats d’admiration, et parlent d’un « prodige de l’expressionnisme ». On ne sait où s’arrêtera le buzz autour de lui (Source : AFP, 09/01/2020).
Plusieurs remarques me viennent à l’esprit. D’abord un enfant, s’il est parfois artiste, n’est pas un artiste. Je veux dire qu’il ne sait pas reproduire sa trouvaille. Le miracle qu’il peut produire à telle ou telle occasion ne dispense pas, pour sa réitération, d’une maîtrise nécessaire qui vient bien plus tard. Les enfants prodiges ne sont pas légion. Certes on peut citer Mozart. Mais pour un cas comme le sien, combien d’espérances avortées ! Qui se souvient encore de Minou Drouet ?
En second lieu, la technique employée par le phénomène ainsi adulé consiste à abdiquer toute initiative consciente au profit du seul hasard. Taches, maculations, coulures évoquent évidemment le dripping de Pollock, ou encore les Tirs de Niki de Saint Phalle. Il y a là, dans cette complète reddition à l’aléatoire, un suicide créatif.
Je veux bien qu’ici on ambitionne d’ouvrir au maximum, par l’absence de maîtrise sur ce qu’on fait, l’éventail des possibles. Mais le résultat est insignifiant, car vouloir tout dire est ne dire rien. Je suis là-dessus de l’avis de Boileau :
« Une merveille absurde est pour moi sans appâts. »
Il est courant de faire maintenant de l’argent avec le génie supposé des enfants. Dans le film La Grande Bellezza, réalisé par Paolo Sorrentino en 2013, c’est une petite fille que le public snob de Rome porte aux nues : elle se roule sur la toile, s’en enveloppe, et en ressort toute souillée de peinture. Elle fait ce qu’on attend d’elle, mais manifestement elle subit cela comme une contrainte torturante. A-t-on le droit de manipuler, d’instrumentaliser ainsi l’enfance, dans un seul but de cupidité ?
30 janvier 2020
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Cet article est repris dans mon dernier livre Les Impasses de l'Art moderne. L'ouvrage est disponible en deux formats, papier et livre électronique (E-Book). On peut en feuilleter le début en cliquant ci-dessous sur : Lire un extrait. On peut le commander sur le site de l'éditeur en cliquant sur : Vers la librairie BoD. Il est aussi disponible sur commande en librairie et sur les sites de vente en ligne.