U |
n hameau abandonné de 21 bâtisses, Courbefy, dans la Haute-Vienne, a été, lundi 21 mai 2012, adjugé à 520 000 euros à l’artiste d’origine sud-coréenne Ahae, lors d’une vente aux enchères devant le tribunal de grande instance de Limoges (source : AFP, relayée par Le Point).
Le projet de l’artiste, qu’on peut voir sur sa page Internet, est de rechercher des sites pour mettre en pratique ses « concepts de vie organique ». Il veut faire tout son possible « pour permettre à la nature de se développer comme cela devrait être le cas, sans l’interférence de l’homme ou d’activités humaines. »
Cela évoque évidemment l’idée moderne de land art, ou art de la nature, où le paysage n’est plus représenté par une main humaine comme sur un tableau, mais investi réellement pour constituer, in situ, une œuvre éphémère, vouée souvent à disparaître par l’effet du temps. Mais ici la main humaine disparaît totalement, puisqu’il s’agit de laisser le sujet en l’état, sans le toucher. L’intention suffit, comme souvent dans l’art dit conceptuel, qui pose problème pour cette raison. [v. Conformisme]
... Cependant je suis resté rêveur devant une telle information. D’abord parce qu’un lieu comme ce hameau sans héritiers, sens propre du mot « déshérence », me suggère cette mélancolie propre à toutes ruines, dont Diderot par exemple a parlé au 18e siècle.
Mais surtout on aurait pu espérer le voir à nouveau habité par des hommes, bruissant de joies et de cris d’enfants. Mais non, on a pris acte d’un abandon définitif, et sans regret apparemment, parce qu’on veut désormais le tenir résolument à l’écart de toute « interférence de l’homme ou d’activités humaines », et le re-livrer à la seule « vie organique ». Je vois là la fin d’un certain humanisme, qui pourtant avait fait l’honneur de notre civilisation.
Certes je sais bien qu’on a pu prédire la « mort de l’homme », comme Michel Foucault l’a fait à la fin de son ouvrage Les Mots et les Choses. Mais faut-il totalement s’en réjouir ? Et même au nom de l’art. Celui-ci était traditionnellement homo additus naturae, l’homme ajouté à la nature. Maintenant il devient la nature sans l’homme.
Mais aussi, l’art lui-même, au sens traditionnel et si beau soit-il, vaut-il la peine qu’on en exclue l’homme ? Souvenons-nous du film Le Train de John Frankenheimer, sorti en 1964 : faut-il, pour sauver une cargaison d’œuvres d’art, exposer la vie d’otages humains ? Je n’en suis pas très sûr. Prenons garde à ce que l’homme lui-même ne tombe pas aujourd’hui, comme le pauvre hameau de Courbefy, lui aussi en déshérence…
31 mai 2012