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oir vraiment s’oppose au voir qui reconnaît les objets. L’adulte reconstruit le monde à partir de sa vision, il remplace ce qu’il voit par ce qu’il sait. L’enfant, au contraire, ne fait pas (pas encore) ces reconstructions, il voit choses et êtres comme pour la première fois. Il tend la main pour attraper la lune. Surmonte-t-elle un clocher, il la voit comme le poète, comme un point sur un i. Il ignore la perspective, il aplatit les plans, sa vision est bidimensionnelle, comme celle qu’on obtient en photo avec un téléobjectif et une grande ouverture.
Je me souviens d’un soir où, rentant chez nous dans la voiture de mes parents, je contemplais la lune par la fenêtre de l’auto. Et je m’étonnais du fait que nous avions beau aller vite, la lune restait toujours à la même place : je disais qu’elle nous suivait constamment, car je n’avais alors aucune idée des distances réelles. – Adulte, toi qui sais, ne ris pas, ne te moque pas des réflexions d’un enfant. Tu pourrais assassiner un poète !
L’enfant est naturellement heureux au milieu de présences vivantes, qui lui font cortège. Ai-je pensé à lui quand j’ai fait la photo ci-contre ? Elle désoriente peut-être le spectateur rationnel, en mêlant le réel de surface avec ses ombres et ses reflets. Mais peu importe, si l’on peut en faire un Art poétique :
Vois
Le monde tel qu’il est dans tes yeux
Ne t’inquiète
Ni des distances ni des échelles ni des plans
Ne reconstruis rien
Alors tout se correspondra et s’unira
‘Devant’, ‘derrière’ auront disparu
Tu verras des fenêtres des éclats et des éclairs
Et ton regard
Décrassé de l’habitude
Sera magique…
*
Cette photo et ce texte sont extraits de mon ouvrage autobiographique Exil. On peut le commander directement sur le site de l'éditeur BoD. Pour plus de renseignements, cliquer sur l'image ci-après :
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