C |
omment s’en débarrasser ? Elles font ‘crac-crac-crac’… Ça n’a rien à voir avec un chant. Est-ce que vous avez des produits insecticides pour passer sur les arbres ?
... Le Maire est abasourdi, moins par le chant habituel des cigales que par la requête des touristes. Évidemment il ne peut y accéder. Il hausse les épaules, et plein de pensées s’en retourne pour regagner la mairie de sa petite commune varoise.
Pourquoi venir ainsi troubler la quiétude estivale, bercée par ces insectes protecteurs et immémoriaux ? Ce sont sans doute des Parisiens, et que ne se souviennent-ils du bruit constant de la capitale, en regard duquel celui dont ils se plaignent ici est sans commune mesure !
Il va goûter à nouveau la fraîcheur de son bureau, quand le téléphone sonne. C’est le directeur du camping.
– C’est encore la question des cigales. Les touristes ont arrosé d’eau les arbres, dans une tentative désespérée de les faire taire et de résoudre enfin le problème, dont ils menacent maintenant de s’ouvrir à qui de droit. L’incurie municipale est impardonnable ![i]
Alors le Maire se souvient de la mésaventure arrivée à un de ses collègues lozérien, auprès de qui des vacanciers se sont plaints de ce que les cloches le matin faisaient trop de bruit et perturbaient leur grasse matinée. Ils avaient même déposé plainte auprès de leur Agence immobilière pour omission de leur signalement dans leur contrat de location.[ii]
Où n’iront-ils pas ? Pourquoi ne pas se plaindre aussi du chant des grenouilles la nuit ? Ou du coq le matin ?
Et à propos de coq le souvenir lui vient d’un article paru dans la presse. Un coq charentais, surnommé Maurice, accusé par des voisins de chanter trop tôt le matin, a fait l’objet, en tant que « personne » sans doute, d’une assignation en justice à Rochefort. Le procès ensuite a même été reporté, Maurice, « fatigué », n’étant pas à l’audience.[iii]
À ce compte, on pourrait bel et bien continuer l’usage médiéval d’intenter des procès aux animaux, avec procureur et avocat, comme pour les humains.
Il sourit à cette rêverie, et laissant où ils sont ces touristes et voisins réboussiers, il s’apprête à goûter encore, dans la même fraîcheur de son bureau, cette féconde énergie sans mouvement (energeîa akinèsis) qu’Aristote a si bien analysée – en somme, à faire un somme...
... qui sera bercé par la chanson d’Alibert et de Tino Rossi :
Adieu Venise provençale
Adieu pays de mes amours
Adieu cigalons et cigales
Dans les grands pins chantez toujours...
[i] Source : Francetvinfo.fr, 21/08/2018.
[ii] Source : Midilibre.fr, 08/08/2018.
[iii] Source : AFP, 07/06/2019.
***
Ce texte est tiré de mon dernier livre, paru chez BoD , Histoires vraies.
Ce sont des petites fictions écrites à partir d'histoires véridiques, que l'on pourra trouver dans ma Petite philosophie de l'Insolite (BoD, 2021), et auxquelles on pourra si l'on veut se reporter.
Toujours bizarre, souvent cocasse, mais aussi parfois tragique, l'ensemble justifie il me semble la remarque d'Hamlet chez Shakespeare : « Il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre, Horatio, que n’en rêve votre philosophie. »
> Pour plus de renseignements sur cet ouvrage, et pour le commander sur le site de l'éditeur, merci de cliquer sur l'image ci-dessous :
Ce livre est aussi disponible sur commande en librairie, et sur les sites de vente en ligne.