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Le blog artistique de Michel Théron
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Un amour fou

Un amour fou

Laissez les morts enterrer les morts.

E

 

lle l’avait aimé dès qu’elle le vit. Malheureusement il était marié, et leurs rencontres au début furent clandestines. À la fin, lassée d’attendre, elle le persuada de demander le divorce. Il l’obtint.

Ils furent heureux autant qu’on peut l’être. Ils s’accordaient surtout par le corps et le cœur, plus que par l’esprit. Souvent il lui reprochait gentiment son exaltation. Elle le voulait tout entier à elle, sans réserve, et qu’il ne fût à personne d’autre. La mort même ne les séparerait pas. Il avait beau lui représenter que nous ne sommes pas grand chose aux yeux de l’univers, qu’une vie humaine à cette échelle ne vaut pas mieux qu’un grain de poussière, qu’il suffisait de ramasser une motte de terre pour y voir notre destin, et que si haut qu’on soit monté, on finit toujours par des cendres.

Étrangère à cette façon de voir, elle le laissait parler, mais n’en pensait pas moins au fond d’elle-même. On verrait bien qui aurait raison.

 

Un jour fit advenir ce qu’il lui disait souvent en manière d’avertissement : il mourut, et on dut le rendre à la terre d’où il venait. Ce fut sa fille, née de son précédent mariage, qui, voulant réunir ses deux parents décédés dans la même tombe, organisa son inhumation, à côté de son ancienne femme.

Mais notre exaltée, loin de penser à notre future transformation en humus, notre lot commun, et de pouvoir modérer par là son ressentiment par quelque sagesse, tourna ce dernier entièrement contre sa belle-fille. De quel droit avait-elle pris la décision d’enterrer son mari au côté de sa première femme ? Qu’était-il désormais pour cette dernière ? Elle étouffait de jalousie. Mais on allait voir ce qu’on allait voir !

Elle intenta un procès, et le gagna. En voici les attendus.

 

Le Tribunal ordonne l’exhumation et la séparation des corps de ce couple de divorcés. Il fait droit à la requête de la nouvelle femme du défunt, qui n’a pas supporté que son mari ait été inhumé, à l’instigation de sa belle-fille, à côté de son ancienne femme. Les droits à la sépulture doivent revenir à la seconde femme, la première après le divorce étant devenue un tiers. Un délai de 2 mois est fixé pour le déménagement du corps, sous peine d’astreinte de 50 euros par jour de retard, payables par la belle-fille.[i]

 

Enfin la justice lui était rendue. Elle savait bien que son mari ne pouvait être qu’à elle, rien qu’à elle. Et pourquoi alors ne pas aller plus loin, réclamer en plus des dommages et intérêts ? Pourquoi pas ?

Dans son emportement, elle avait du mal à respirer. Loin de toute paix, elle ne faisait qu’imaginer toutes les solutions de vengeance qui pourraient s’offrir encore. Le ressentiment la minait, l’obsession l’étouffait, la haine la possédait toute.

 

... À quelque temps de là, elle mourut toute seule, emportée par un cancer.

 

[i] Source : AFP, 04/04/2014. Cette affaire a été plaidée à Blois.

 

***

 

Ce texte est tiré de mon dernier livre, paru chez BoD , Histoires vraies.

 

Ce sont  des petites fictions écrites à partir d'histoires véridiques, que l'on pourra trouver dans ma Petite philosophie de l'Insolite (BoD, 2021), et auxquelles on pourra si l'on veut se reporter.

 

Toujours bizarre, souvent cocasse, mais aussi parfois tragique, l'ensemble justifie il me semble la remarque d'Hamlet chez Shakespeare : « Il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre, Horatio, que n’en rêve votre philosophie. »

 

> Pour plus de renseignements sur cet ouvrage, et pour le commander sur le site de l'éditeur, merci de cliquer sur l'image ci-dessous :

 

D.R.

Ce livre est aussi disponible sur commande en librairie, et sur les sites de vente en ligne.