Nuit et Jour

a nuit déjà à mes pieds, le ciel encore bleu si je lève la tête. Et ce fanal qui fait signe, comme le phare au navire : le soleil se couchant au fond de l’horizon...

Dans ce moment qu’on appelle parfois entre chien et loup, je vois un mémorable symbole. Combien de fois dans nos vies ne voyons-nous que la nuit qui en recouvre le premier plan, comme dans cette photo ! Nous n’avons pas l’idée de lever simplement les yeux pour apercevoir l’encouragement d’un morceau de ciel, comme ici aussi. Et quant à l’astre lumineux du fond pouvant nous éclairer, nous l’ignorons.

Mais nous avons tort de désespérer, car de la vie nous ne savons rien. Ni si ce dont nous souffrons aujourd’hui ne se changera pas plus tard à notre avantage, ni si d’autres circonstances que celles que nous vivons n’interviendront pas à leur tour. En fait nous prenons toujours le proche pour le lointain, sans penser à ce dernier. Nous vivons préoccupés de l’ombre, sans réfléchir au soleil qui la peut percer. Pourquoi ne voir que le sombre chemin sous nos pieds ? Pourquoi ne voir que le premier plan, sans l’horizon orange et bleu qui le contredit ?

Considérons donc cette image en elle-même, et ses leçons possibles, sans réfléchir qu’il s’agit d’un crépuscule, et que l’instant d’après tout sera enseveli dans l’obscurité. Au reste, pourquoi ne pas y voir un lever de soleil, une aurore, préfigurant le triomphe journalier de la lumière sur l’ombre ? Libre au spectateur de l’y voir aussi. Je ne veux ici désabuser personne.

De toute façon, la photo unit en les juxtaposant la Nuit et le Jour. Si on les voit comme opposés, elle est oxymorique. Mais en fait la contradiction de l’oxymore n’est bien souvent qu’apparente : sa fine folie fait réfléchir et nous donne ici une leçon. Il n’est pour nous nuit si épaisse qui ne recèle un rayon de lumière, ou un fragment de ciel bleu.

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Cette photo et ce texte sont extraits du tome 2 de mes Méditations photographiques (BoD, éd.). Pour des renseignements sur cet ouvrage, cliquer sur l'image ci-dessous :