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Le blog artistique de Michel Théron
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Si tu veux...

Si tu veux...

 

Un songe, un rien, tout lui fait peur,
Quand il s’agit de ce qu’il aime...
La Fontaine

 

– Et si nous allions nous promener ?

– Si tu veux...

 

Les voici en train de marcher dans la campagne, environnés de soleil, de ciel sans nuages, de mistral bleu et de cris d’oiseaux. Lui est plein d’allant et d’enjouement. Mais elle n’a pas l’air en train. Il lui demande pourquoi son humeur sombre.

– C’est par rapport à ce que tu m’as dit tout à l’heure.

Il ne se souvient pas de ce qu’il a dit. Il la prie de le répéter.

– C’est quand à ma demande de sortir tu as répondu : « Si tu veux... »

Vraiment il ne comprend pas. Pourquoi cela l’a-t-il fâchée ?

– J’ai senti dans ta voix je ne sais quelle lassitude, comme si ta réponse ne pouvait servir qu’à mettre fin à un échange qui t’importunait. Tu as dit « Si tu veux » comme tu aurais pu dire tout autre chose, simplement pour avoir la paix.

Il l’assure que ce n’était pas le cas, et qu’au contraire il n’avait en vue que de lui complaire. C’est à son désir à elle qu’il pensait, et à s’y conformer lui-même. Mais elle n’est pas convaincue. Elle insiste.

– Songe que ma demande avait pour but de nous faire nous retrouver pour un moment de réunion, chose dont je pense nous avions besoin, après ce qui s’était passé.

Il ne comprend toujours pas, la prie de s’expliquer.

– Mais oui, souviens-toi quand ce matin j’ai voulu déplacer le cadre sur le mur du salon. Je t’ai demandé ton avis, et tu m’as dit encore : « Si tu veux », d’un air lassé, indifférent. Que je t’aie demandé ça ou autre chose, c’était pareil pour toi.

Abasourdi, de nouveau il ne se souvient pas, et il ne comprend pas pourquoi elle a pu monter en épingle un si petit détail. Il essaie de la consoler de la délivrer de ses alarmes. Il la prend dans ses bras, et elle cache sa tête sur son épaule. Puis elle sanglote.

– C’est que j’ai tellement peur que nous nous aimions moins qu’avant ! Je voudrais que tout soit aussi beau pour nous que lorsque cela a commencé. Que tu m’aimes moins, je ne le supporterai pas.

Il l’assure qu’il n’en est rien, qu’aucune tache ne vient oblitérer leur amour. Ils continuent leur promenade sous le ciel bleu. Le leur aussi s’est rasséréné.

 

Revenu chez eux il songe à ce qui s’et passé. Combien de petits séismes comme celui-ci sont possibles dans une seule journée ! Et combien il est difficile de les prévoir ou les prévenir ! Un ton de voix, même anodin mais dont la réception n’est pas contrôlable, peut déclencher une catastrophe. Il y a là comme un effet papillon dont tous ceux qui veulent aimer doivent être bien conscients.

Alors, qu’y faire ? Sans doute la sagesse est-elle de ne pas laisser s’accumuler, l’une sur l’autre, les méprises successives, au point qu’à la fin elles constituent un gros bloc opaque, finalement imperméable à l’exploration et au traitement. Il faut débrider l’abcès aussitôt qu’il apparaît. Après, c’est trop tard. L’incompréhension s’étend sur tout, comme un cancer métastasé.

 

... Amants, heureux amants, veillez sur les moindres de vos fâcheries, pour ensemble les voir et les désamorcer, tant qu’il est temps. Songez que si le langage recèle bien des pièges, il a aussi la possibilité de guérir bien des blessures. Il peut éclaircir les situations, si l’on s’y met à deux. Et si un nuage dans la journée a obscurci votre bonheur avec l’autre, ne vous couchez jamais le soir sans ensemble en avoir parlé et l’avoir chassé.

***

Ce texte est extrait de mon livre Amours, publié chez BoD. Il est fait de petites fictions sur le sentiment amoureux et les situations dans lesquelles il se manifeste. Avec mon autre ouvrage, Savoir aimer, à contenu plus philosophique, il constitue un diptyque. Pour plus de renseignements sur ces deux livres, cliquer sur les images ci-dessous :

 

D.R.

 

D.R.