I
Je voudrais tant lui faire plaisir ! Par exemple il doit vouloir que nous nous voyions plus souvent, depuis que nous avons découvert tant d’affinités entre nous. Bien sûr cela me coûtera, par le trajet supplémentaire que j’ai à faire pour le rejoindre, et aussi par les obligations impératives que m’impose, à côté, ma vie passée. Mais enfin il faut ce qu’il faut. Conformons notre histoire à ce que je crois être un vrai couple : être le plus souvent possible auprès de l’autre, multiplier les attentions que cette proximité rendra plus fréquente. Sinon notre histoire restera toujours en pointillés.
II
Quelques mois plus tard...
Vraiment je ne sais s’il se rend compte de ce que je fais pour lui. Cette cohabitation dont j’ai pensé qu’elle lui faisait plaisir, voici qu’elle est pour moi source de bien des déceptions. Il manque d’attentions à mon égard, prétexte sa propre fatigue pour ne pas me les accorder. Lui n’a rien changé à ses habitudes, et moi qui ai voulu, pour lui, bouleverser les miennes, je n’en suis pas récompensée. Sans doute me suis-je trompée dans la décision que j’ai prise d’une proximité maximale. C’était pourtant pour lui que je m’y suis résolue. Cela m’apprendra, je pense. En attendant, je suis lasse d’être ainsi écartelée, et je lui fais part par courriel de mes griefs. Si rien ne change, sans doute un jour viendra-t-il où je lui dirai, enfin, que notre histoire est terminée.
III
Réponse au courriel
Ma chérie,
j’ai bien reçu ton courriel et tes reproches. La seul réponse que je peux te faire, quand tu me dis avoir pensé que ce rapprochement de notre couple me ferait plaisir, est que je ne te l’ai jamais demandé.
Trois choses donc seulement. D’abord je crois que dans un couple toute présupposition sur ce que pense ou sent l’autre, sans qu’il y ait parole effective pour le formuler, est dangereuse. C’est une projection qui peut mener au pire, surtout quand on préfère ensuite trancher dans les situations plutôt que patiemment essayer de les dénouer.
Ensuite je pense qu’il faut se méfier de la doxa sociale, qui dit qu’un couple sans cohabitation n’est pas un vrai couple. Bien plutôt c’est la hâte qu’on met pour installer cette présence constante de l’un face à l’autre qui peut le détruire. C’est un sujet qu’il faudrait développer bien longuement.
Enfin comme tu parles de sacrifice dans le choix que tu as fait, je pense que tu es comme moi hostile au sacrifice qui ignore la nécessaire prise en compte minimale du moi de chacun. On ne bâtit rien de solide sur le renoncement à soi, sur l’abnégation.
Notre histoire, je la vois non pas comme terminée, mais comme à construire, comme c’est le cas pour les vraies histoires. Vu les affinités qui nous rapprochent, je pense que tu en seras d’accord.
À toi, toutes ces pensées.
M.
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Ce texte est extrait de mon livre Amours, publié chez BoD. Il est fait de petites fictions. Avec mon autre ouvrage, Savoir aimer, à contenu plus philosophique, il constitue un diptyque. Pour plus de renseignements sur ces deux livres, cliquer sur les images ci-dessous :