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omme vagues sur le sable, s’étendant sans fin, innombrables sont les générations humaines. Et depuis toujours tout a été dit, et tout a été fait, en mal ou en bien, sans véritablement qu’un progrès quelconque soit visible dans cette éternelle succession. Ainsi aujourd’hui, la terre, notre maison pourtant, est en train de brûler, et les hommes qui la détruisent se détruisent aussi entre eux en d’absurdes guerres. Qu’y faire ? Ce qui a été, c’est ce qui sera, et toutes choses sont toujours les mêmes : eadem omnia semper.
Ces mélancoliques réflexions, le soleil au crépuscule me les inspire, en enflammant la plage de ses rayons obliques. Il y a à voir ce spectacle une certaine désespérance. À quoi se raccrocher, si demain doit n’être que comme aujourd’hui, si la monotonie des travaux et des jours doit sans fin s’imposer à nous, si nous sommes condamnés à un éternel ressassement ?
... Pourtant mes yeux ici démentent mon esprit. Ici je suis, me dis-je, en ce lieu et cet instant, en quête de beauté, et son apparition soudaine, en vagues serpentines et lumineuses, justifie mon être. Là j’ai été, dirai-je plus tard, j’ai eu cette vision, et cela ne peut m’être enlevé. Absorbé dans ma contemplation, j’ai connu au moins l’éternité de certains instants. Dieu lui-même ne peut faire que ce qui a été n’ait pas été.
Dans le combat que se livrent en nous la Vision et la Pensée, la première peut avoir des atouts. D’abord elle est immédiate, tandis que la seconde ne l’est pas. Et puis elle est intuitive, non discursive. Elle a pour elle d’échapper aux raisonnements et aux chaînes de mots qui les sous-tendent, et remplacent ce qu’on voit par ce qu’on sait.
Si je suis ce que me dit ma Vision ici, j’entrevois ce que peut être la splendeur de l’Éternel retour, et la nécessité de dire, à la Vie qui nous le montre toujours, un grand Oui, plutôt que de me perdre dans la déploration et la psychasthénie, le manque d’élan des esprits chagrins. Bien sûr tout est cyclique, et le progrès n’est rien. Mais à le contempler ce cycle est beau, et justifie de vivre.