Tous ces visages, entrevus, de loin, de près peu importe, mais toujours fuis, pourquoi ? Parce qu’à les voir ils font mal. Beaux ils sont sans aucun doute, mais beaux comme c’est pas permis…
J’ai vu, je vois, j’imagine… un pur ovale entouré de cheveux blonds et soyeux, mi-longs ou longs… des yeux bleus ou verts, en tout cas clairs, rêveurs il semble… et doux… ne pouvant faire de mal sans doute, mais en faisant tant en me déchirant… Les brunes sont piquantes, certes, attirantes, enflammantes peut-être, mais elles n’ont pas cette douceur qui tue, sans rémission. Aucun désir physique en moi ne se lèvera de ce fin visage, pas plus qu’à regarder les visages féminins de Botticelli. Féminins dis-je, mais plutôt androgynes. Angéliques. C’est cela qui sidère, et fait mourir : on est bien au-delà du sexe. Le désir n’est jamais que le regret de l’étoile, de la sidérale rencontre. Astre désastre. Ici c’est bien l’âme qui est touchée, et non le corps.
Et surtout cette jeunesse… Elle surpasse tout. Bien sûr elle disparaîtra un jour. Le visage meurtrier se creusera de rides. Cela je le sais. Mais cela ne change rien. C’est maintenant que je meurs de le voir. Pourquoi ? Parce que lui perdu ou éloigné, je devrai survivre. Et je mènerai mon deuil comme à l’habitude, ma décomposition. On ne se fait pas vieux, on se défait.
L’aile d’un Ange m’a effleuré, m’a blessé. J’en suis demeuré boiteux, comme Jacob. Anéanti, comme Sémélé. Dévoré, comme Actéon. Tous ils ont vu le dieu, et l’ont bien payé. – Pauvre professeur, voici que tu te consoles par ces souvenirs ! Mais non, bien plutôt tu les vis, et tu n’as qu’eux pour refuge, tes pauvres livres. Protège-toi des visages, n’arpente pas les rues de la ville le nez au vent, rase les murs. À tout instant tu peux rencontrer ta Méduse. Ferme les yeux, regarde ailleurs.
Si je lui parle, que dira-telle ? Peut-être rien qui vaille. Mais son visage, sa beauté parlent pour elle. Que disent-ils ?
– Tu ne peux me voir et vivre…*
Va donc où te portent tes pas. Je me contenterai de te voir de dos**, t’éloignant petit à petit. Visage glorieux comme c’est pas permis, pars et laisse périr le passant soucieux…
* Exode 33/18 :Moïse dit : « Fais-moi voir ta gloire ! » (…) 20-23 : Le Seigneur dit : « Tu ne pourras pas voir ma face, car l’homme ne peut me voir et vivre. » Le Seigneur dit : « Voici un lieu près de moi ; tu te tiendras sur le rocher. Quand ma gloire passera, je te mettrai dans un creux du rocher, et je te couvrirai de ma main jusqu’à ce que j’aie passé.
** Et lorsque je retournerai ma main, tu me verras de dos, mais ma face ne pourra pas être vue. »
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Ce texte est extrait du tome I de mon ouvrage Fictions bibliques, édité chez BoD. Il est illustré de dessins originaux de l'artiste Stéphane Pahon. En voici la présentation en Quatrième de couverture :
Ce livre propose des libres lectures de passages bibliques. Elles servent parfois l'intention du texte initial, mais parfois aussi en problématisent le contenu, quand il n'a plus semblé admissible pour un esprit indépendant. L'appel à la sensibilité, propre à la littérature, permet de corriger ce que l'exégèse et la théologie traditionnelles peuvent avoir de dogmatique.
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Ce blog vient en complément de mon blog principal généraliste : www.michel-theron.fr - Il comprend spécifiquement des productions ayant trait à la Littérature et à l'Art : poésies, fictions et micro-fictions, réflexions diverses sur l'esthétique, photographies et vidéos.