Elle monte dans le tram. Il y a beaucoup de gens qui s’y pressent, et elle a du mal à trouver une place dans la foule des voyageurs. Une fois en route, elle s’apprête à regarder dehors, quand soudain elle sent, instinctivement, un regard posé sur elle. Gênée, elle se retourne, et le voit.
Il la regarde en effet, mais d’un regard lourd, peu franc. Il fixe tantôt ses jambes, tantôt son buste, tantôt son visage, mais cette inquisition générale et appuyée la plonge dans un grand malaise, comme si elle était déshabillée en public, toute pudeur ôtée. Elle se sent rougir, et détourne le regard.
Que lui veut-il ? Va-t-il la suivre quand elle sera descendue ? Elle regarde autour d’elle, comme si elle prenait les gens à témoin. Dévisager ainsi, n’est-ce pas déjà envisager autre chose ? Que me veut ce regard lourd de sous-entendus ? Que va-t-elle devenir ? Qui l’aidera ?
Le tram s’arrête, et vite elle en sort. Elle fera le reste du chemin à pied. Par bonheur, il ne l’a pas suivie. Combien malades sont les gens, et combien tortueux leurs désirs ! Pourquoi toutes ces situations fausses ? Pourquoi ces ténèbres de l’équivoque ? Ne peut-on vivre simplement, au grand jour, sans la honte de la pudeur bafouée ?
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La voilà maintenant chez lui, qui l’accueille avec un bon sourire. Elle se réfugie dans ses bras, et puis prestement se dévêt. Il la regarde avec amour, simplement et sans arrière-pensée, et elle se sent embellie par le regard de son amant. Réchauffée, rassurée peut-être aussi sur sa beauté, elle n’est plus la même. La voici transfigurée, telle Galatée animée par les caresses de Pygmalion.
Nue, toute pudeur ôtée, dans une grande lumière elle court vers lui.
Luc 11/34 : « La lampe de ton corps, c’est l’œil. Quand ton œil est simple, ton corps tout entier est aussi dans la lumière ; mais si ton œil est malade, ton corps aussi est dans les ténèbres. »
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