Amnésie

Je continue la publication ici d'une série de Méditations photographiques, qui seront plus tard publiées en volume.

Par la magie du logiciel, mon Tableau d’automne (lien) s’est transformé en tableau abstrait. On n’y reconnaît plus rien de son origine. Mais on peut penser que ce n’est pas grave, et que bien plutôt on y va voir, plus librement, beaucoup d’autres choses, et bien belles.

Les signes se sont totalement émancipés de leur sujet, et sont désormais disponibles pour toute autre interprétation que celles qu'il semblait autoriser. Si aucune légende n’est mise au tableau, aucun frein n’est mis à sa lecture : on peut y voir ce qu’on veut. C’est ce qu’on appelle une pansémie.

Mais peut-on avoir un vrai échange à son propos ? Échanger il me semble, hors de banales appréciations sur le plaisir à regarder quelque chose, suppose qu’on s’entende sur ce dont on parle. Et ici c’est impossible, chacun pouvant voir ici, par-delà les matériaux seuls, des choses différentes.

En fait c’est d’elles-mêmes que parlent ici couleurs et formes, et de rien d’autre. Et c’est à l’œil seul qu’elles s’adressent. Le monde est aboli, dans une jouissance purement formelle, solipsiste, qui ressemble à celle que produit la musique.

Le danger évidemment est l’utilisation décorative. L’art ne devient pas décoratif par le fait de décorer, mais de s’adresser seulement au plaisir de l’œil.

Je crois que plus on plonge dans cette image, plus on se délivre de la pensée, dont toutes les activités et modulations sont inséparables de la mémoire. Plus l’image attire, moins on est capable de songer à autre chose que ce qu’elle montre. Sa victoire est celle de la sensibilité sensorielle, la sensibilité générale ou affective étant quant à elle toute autre, car elle nécessite comme support la remémoration. C’est d’elle aussi qu’est privé l’amnésique.