Rêverie
Rêver est être absent. Occupé ailleurs. Ne plus être là. Être là et ailleurs en même temps. L’âme absente occupée aux enfers... Ce visage est ailleurs, comme moi-même en le regardant je suis ailleurs, au pays de mes rêves. Visage prétexte, objet de mes projections, nourriture de mes fantasmes. Femme alibi (alibi : ailleurs).
Pourquoi est-elle ailleurs ? Parce qu’elle regarde ailleurs.
Une figure peut être présentée frontalement, me fixant et me sondant, m’hypnotisant ou s’emparant de mon regard, figure présente comme maintes figures sacrées, me renvoyant à moi-même et au secret centre de mon cœur, regard fixe de serpent sur sa proie. C’est le regard des icônes, comme aussi des photos d’identité...
Au contraire comme ici la figure peut être présentée de biais, ou de 2/3 face, ou de 3/4 face, semi-profil, etc. Elle ne me regarde pas, mais elle regarde autre chose, dans une autre direction. Et moi-même je la surprends regarder ailleurs. Ce n’est plus son regard qui est prédateur, mais le mien. Je surprends une intimité qui ne m’était pas destinée. Je la vois et elle ne me voit pas. Elle rêve et je rêve sur elle, comme elle, d’elle...
... On ne réfléchit pas assez au hors-champ dans une image. Parfois le champ d’une image n’est que le support d’un hors-champ bien plus vaste, bien plus important, vers lequel il oriente et dirige le regard. Si ce qu’on appelle en général la poétisation est l’augmentation de la suggestion et du non-dit, tout ce qui indique un hors-champ ou une perspective extérieure à soi l’augmente. Amplifié aussi est le désir : il se nourrit de son propre manque.
Hypothèse d’un visage. Que voit-il, que fixe-t-il ? Si regarder quelqu’un en face est le juger ou se livrer à lui, regarder ailleurs est lui échapper. C’est le cas dans ma photo. Regard fuyant, regard en fuite. Femme fuyante, toujours m’échappant. Par là précieuse, évidemment. Je ne poursuis que ce qui me fuit. Rien ne m’est que prétexte, et tous mes désirs sont mes alibis. Tortures de l’ailleurs, jalousie – ou adoration, comme ou voudra ou comme on sent son âme, mais toujours en questions... À la question, en questions, en question... Cette image n’est pas affirmative...
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Ce passage est extrait du chapitre 2 de mon ouvrage Quand parlent les images - Méditations photographiques, publié chez BoD. Il est disponible en format papier et en format électronique (e-book).
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Le langage de l'image est celui que nous tenons en la contemplant. Sa signification est celle de notre propre discours intérieur, qu'il convient d'analyser dans tous ses procédés, ce que fait le présent ouvrage. Il est composé de méditations que l'auteur a faites sur des photographies qu'il a réalisées lui-même à partir d'un visage féminin. Ces méditations ne sont pas que didactiques. Elles incluent aussi sensibilité et rêverie. De la sorte, ce livre pourra intéresser (...)
Voici le texte complet de la quatrième de couverture :
Le langage de l'image est celui que nous tenons en la contemplant. Sa signification est celle de notre propre discours intérieur, qu'il convient d'analyser dans tous ses procédés, ce que fait le présent ouvrage.
Il est composé de méditations que l'auteur a faites sur des photographies qu'il a réalisées lui-même à partir d'un visage féminin.
Ces méditations ne sont pas que didactiques. Elles incluent aussi sensibilité et rêverie. De la sorte, ce livre pourra intéresser tous ceux qui en général aiment les images et les mots, ainsi que leur dialogue souvent très fécond.