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homme a toujours voulu que le monde soit ordonné, que d’un chaos informe, d’un tohu-bohu initial, naisse un cosmos, un monde bien rangé, délimité. Toutes les mythologies s’accordent là-dessus quand elles parlent de la création du monde, qui est en fait son organisation.
Et pourquoi ne pas l’organiser selon les lois de la géométrie ? Chez les anciens Grecs Dieu géométrisait toujours. Peut-être lui ai-je emboîté le pas en faisant cette photo, où le premier plan impose une grille rigide.
Il s’agit de la paroi vitrée d’un immeuble moderne. Pourtant ce qui s’y reflète, un édifice et son toit, est déformé, tordu et bossué, à cause sans doute l’insuffisante planéité des vitres.
Alors, me dis-je, l’ambition de tout mettre dans un ordre parfait et rigoureux a des limites. Si grand que soit le désir de contenir l’inconnu par la géométrie, cette dernière n’est pas toute-puissante, puisqu’une faille se glisse en son sein, manifestée par la déformation d’un toit : au cœur d’un ordre, un petit désordre.
L’image alors me donne une leçon symbolique. On ne peut pas tout maîtriser, il faut admettre que toujours des altérations, des imperfections se glisseront dans tous nos échafaudages, discours et constructions. Même si on ne les aime pas, il ne faut pas leur résister.
Mieux, elles sont bénéfiques, et meilleures même parfois que l’ordre rigoureux auquel elles s’opposent. Qui ne voit par exemple que dans l’écriture telle incorrection est une beauté supérieure ? Et dans le chant, que telle impureté prend aux tripes, qui rend le bel canto bien faible à côté ? C’est ce que les Espagnols appellent le duende, l’erreur salvatrice, le bug dans le programme. Ce qui ne casse rien ce qui ne déchire pas est bien fade.
Comme le serait la photo sans le toit déformé...