S |
elon un proverbe arabe, les trois meilleures choses de la vie sont le dos d’un cheval, le corps d’une femme, et la lecture d’un livre. Je laisserai évidemment la première, n’ayant pour l’équitation qu’une médiocre capacité. Mais je suis absolument d’accord pour les deux suivantes.
Tout bascule obliquement dans cette photo, et la fenêtre, et la bibliothèque, et le fragment du corps aimé. Comment pourrait-il en être autrement ? Dans ces moments d’extase, c’est-à-dire de sortie de soi, on ne sait où l’on est, ni où l’on en est.
Tout se mêle aussi et se confond. Quelle partie du corps voit-on ? En fait, n’en voyant aucune précisément, c’est comme si on les voyait toutes à la fois. C’est en quoi le fragment est maximalement parlant. Ce n’est que quand on est froid qu’on voit des ensembles ordonnés, et à distance. Quand on est transporté de désirs, on s’hallucine de fragments. La modicité quotidienne a disparu. Seule existe la plongée dans l’élémentaire, et aussi l’immémorial.
Un esprit cynique dirait que tous les fragments se valent. Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse ! Et certes je ne veux pas faire d’angélisme ici : le corps fragmenté est déshabillé de l’humain, alors que ce sont seuls le visage et le regard qui assurent l’individualité. Cette photo se situe du côté du permanent et de l’immortel. Dans une autre situation, celle du portrait par exemple, ce sera différent, il y aura particularité, spécification. Ce sont là deux pôles, et il faut n’en mépriser aucun.
Au moins la photo propose-t-elle aussi des équivalents au proverbe arabe. La fenêtre, qu’on peut ouvrir et par laquelle on peut voir le monde, comme transporté au dos du cheval si on veut. Et les livres, dans lesquels aussi on peut voir le monde, mais autrement. Pôle plus extraverti dans le premier cas, plus introverti dans le second. Aimons donc à la fois le spectacle du monde, la lecture, et l’amour : aussi bien s’agit-il également de trois ivresses.