Intimité

O

n ne peut toujours courir le vaste monde. Ses spectacles se retrouvent toujours dans la mémoire, et on les revoit en contemplant un feu de cheminée. Tristes ou heureux, et souvent les deux à la fois, on tisonne ses souvenirs. Et sans doute même, dans tout ce qu’on voit de nouveau, ne fait-on qu’en semer pour plus tard. Comme si les choses ne prenaient leur poids essentiel qu’attendues d’abord, et remémorées ensuite. Comme si on n’était heureux qu’avant de l’être, et quand on ne l’est plus.

Songeur devant l’âtre vivant, on se retrouve, réuni à soi-même. La fenêtre qui nous détourne vers l’extérieur n’est plus qu’un fantôme flou et gris dans ma photo. C’est le moment où on s’appartient, et où l’on se tient à part. Il ne faut pas les mépriser, ces instants d’absolue solitude. Ils nous éloignent des autres, certes, mais nous rapprochent de nous-mêmes, de notre être le plus intime, de notre foyer intérieur, qui ne fait qu’un alors avec le foyer même que nous contemplons. En parfaite transparence, nous sommes ce que nous voyons, et la dualité disparaît, réalisant l’advaita hindouiste.

La plupart du temps nous vivons éparpillés et opaques, à la surface de nous-mêmes. Et nous ne sommes pas ce que nous sommes. L’essence en nous a été recouverte par les circonstances, les accidents aléatoires et factices de la vie. Nous sommes un être d’emprunt, et finalement un imposteur, un traître à ce qui en nous pourtant demandait à vivre. Aussi faut-il se ménager, comme ici, des instants de trêve dans le combat des hommes, de relâche dans le théâtre social. Nous devons arracher notre masque, retrouver notre visage.

À cela aide beaucoup le spectacle de ces flammes vivantes, jamais identiques à elles-mêmes au point que l’obturateur de l’appareil photo a du mal à les immobiliser. Elles accoutument à la vision de la vraie vie : toujours changeante et non prévisible, mais toujours la même au fond, semper eadem. Éclairante et réchauffante à la fois.

Et tout le reste appartient à la nuit...

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Ce texte est tiré de mon livre Quand parlent les images, publié chez Amazon (2025), et commandable sur son site :