Dialogue
– J’aime la robe des choses, la volubilité des phénomènes, la splendeur de l’apparence. Je sais bien qu’au-dessous de la surface d’autres choses se laissent voir, différentes et peut-être menaçantes. Ici elles sont floues et je m’en accommode. Elles ne font que mettre en valeur celles qui seules me captivent, les feuilles flottantes et les bulles d’air. La mise au point sur la surface me satisfait. Et je me promène à mon aise dans ce tableau semi-abstrait.
– Pourtant tu devrais savoir que la surface est trompeuse, abuse l’œil. Et aussi que cette captivité dont tu parles pour toi est précisément ce qu’en Inde les dieux recherchent : ils trompent les hommes en agitant devant leurs yeux un voile d’apparences qu’ils prennent pour la réalité, la maya. C’est comme le matador qui leurre le taureau en agitant devant lui la muleta.
– Je sais. Mais je n’ai pas l’esprit métaphysique. Pour moi il y a une réalité de cela seul que je vois. Je n’ai point besoin d’aller au-delà.
– Si tu n’es pas métaphysicien au moins peux-tu être psychologue. Et tu ne juges pas quelqu’un, par exemple, sur son apparence seule. Il y a aussi le fond de sa personne qui compte. La mise au point doit être différente.
– Sans doute. Mais n’oublie pas qu’il y a une vérité de l’apparence même. Tout est langage, il n’y a pas que celui de la profondeur. Le vêtement aussi est langage. Tout ce qu’on voit porte une robe ou un manteau. Pourquoi le démanteler ?
– Tu as la vision de l’artiste, captivé par les formes et les apparitions magiques qui accompagnent leur constant changement, leur métamorphose. Pour moi je suis plus attiré non par la robe, mais par le sens des choses, par la signification qu’on y peut voir. Peut-être suis-je plus philosophe...
– Sans doute. Mais rassure-toi. Nous ne sommes qu’un.