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ls balisent les vies, et justifient d’exister. Peu leur suffit. Une route qui tourne, solitaire surtout, avec le miroir brillant d’une toute petite mare en contrebas, un soleil qui se couche, et son magique light show. On en revient apaisé, avant les prochains soucis certes. Mais au moins a-t-on pu dire : Et moi aussi j’ai connu cela...
Même s’il est rêvé par tous, le continuum du bonheur n’existe pas. Éphémère, comment serait-il désirable ? Mais les moments éblouis de beauté, ceux-là sans doute chacun les a connus. Ils sont faits de petits riens : un rayon de soleil sur la fenêtre d’une vitre, une mélodie nostalgique entendue à la radio, une phrase d’un livre qu’on croyait pourtant connaître. Ces instants décisifs, ces kairoi qui peuvent infléchir un destin, justifient la phrase de Dostoïevski selon laquelle la Beauté sauvera le monde.
Encore faut-il avoir la curiosité de les accueillir, et de s’y absorber pleinement. Ce n’est pas le cas de tous, malheureusement. Toute la civilisation moderne tire les gens hors d’eux-mêmes, les détourne de leur être profond. Captifs du moindre stimulus, ils s’en détournent très vite pour aussitôt passer à un autre. Ils vivent à la surface d’eux-mêmes, n’ont pas d’intériorité vraie.
Plaignons celui qui devant la splendeur d’un crépuscule n’en est pas transpercé jusqu’au fond de son âme ! Ce sont pourtant des événements premiers, et qui passe à côté d’eux oublie un essentiel qui pourrait vraiment changer sa vie. Mais tous ne le veulent pas, et sont contents de celle qu’ils ont. Dans la satisfaction il n’y a plus d’âme qui vive. Tandis que ceux qui sont déracinés, arrachés à eux-mêmes dans certains moments sidérants, sentent certes leur exil, mais aussi battre leur cœur.
Je ne veux certes pas convertir personne. Mais je demande simplement qu’on comprenne les contemplatifs, qu’on laisse vivre par exemple les petits enfants rêveurs, au lieu de les surcharger, comme c’est le cas aujourd’hui, d’activités diverses pour les occuper et ainsi détruire leur âme. Car d’abord on oublie son âme, et puis on oublie qu’on l’a oubliée...
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