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ur fond de nuit se découpe la fenêtre, comme aussi notre vie.
Il y a eu la nuit qui a précédé notre naissance, et il y aura celle qui suivra notre mort. Et pendant ce si bref instant qu’est notre vie, bien souvent on ne voit en elle qu’absurde et chaos. Amère leçon de l’existence : un bref instant de non-sens entre deux éternités de non-être. Et entre le premier cri et le dernier souffle, que de soupirs !
La vie est comme un rideau nous sépare du noir initial et final. Mais ce rideau-ci n’est pas anonyme : il semble flatter notre regard et inviter à la caresse. Sans doute une main attentive l’a-telle en le créant ainsi orné et ouvragé. Et maintenant le photographe lui a rendu hommage, en le mettant en valeur par le cadrage. Tel quel, il semble pouvoir défier finalement l’absurdité générale.
Alors la leçon perd de son amertume. Dans la brève apparition d’une vie vouée à la disparition existent quelques plages de petits bonheurs contemplatifs. Le temps semble s’y être arrêté. Il faut les cultiver, et aux deux éternités de néant qui nous encadrent et bornent opposer celle de l’instant suspendu. Ce n’est pas rien.
Il suffit d’ouvrir les yeux. Rester chez soi même suffit, et il faut laisser les voyages à ceux qui manquent d’imagination. Les accidents lumineux de chaque heure nous font cortège, et transfigurent les moindres choses. Rien n’est pareil quand s’écoule le temps. Tout éclairage enchante : ils sont si divers ! Tout est nouveau sous le soleil.
À son destin nul n’échappe. Mais celui qui accepte de jouer avec la constante métamorphose des choses en est moins prisonnier et victime. Il sauve les phénomènes par l’attention qu’il leur porte, et le regard charitable qu’il pose sur eux les illumine. Pour un temps, il arrache sa proie au néant.