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e lieu est dépouillé de présence humaine, au moins visible. Le banc est vide, et troué d’infinie absence. Le buste au fond est tout ce qui reste d’un personnage aujourd’hui disparu, si illustre peut-être qu’il ait été en son temps. Mémorial dérisoire, rapetissé encore par la distance et la perspective.
Tout autour cependant, la lumière ocre des feuilles mortes. Celle du premier plan résume les autres, elle est comme un signe qui s’adresserait à moi. Quel est-il ?
– Songe, me dit-elle, que si nous mourons aujourd’hui, partant pour un voyage en vue duquel nous avons mis nos plus beaux atours, nous renaîtrons au prochain printemps. En fait, nous sommes immortelles, à la différence de ces humains absents que tu viens de dire. Tout peut bien changer pour toi, rien ne change pour nous. C’est toi que l’idée de la disparition concerne, et pas nous.
– Pourtant, lui dis-je, notre sort est le même. Mourir, y compris pour les humains, c’est ranimer la nature sous une autre forme. Nous descendons bien sûr où tout se désassemble, mais sur notre décomposition pousseront à nouveau arbres et feuilles. Homme, homo, c’est humus. Et corollairement humilité. Tout cela se trouve et se voit dans une simple motte de terre. Aucune vraie disparition là-dedans. C’est simplement un grand cycle éternel, où la mort donne la vie.
Maintenant, ajouté-je, si par la folie évidente des hommes et comme il est tout à fait possible l’humanité tout entière disparaissait telle quelle de la surface de la terre, cette dernière continuerait d’exister, avec toujours son grand cycle naturel. Il y a d’ailleurs déjà eu beaucoup d’extinctions d’espèces. Je ne vois pas pourquoi l’humanité y ferait exception.
... Décidément, me dis-je, ce banc m’attire, il est proche à le toucher, et semble fait exprès pour accueillir des gens de mon espèce, des contemplateurs méditatifs.