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n voilage comme celui-ci tamise la lumière, et rend l’atmosphère plus douce. Il appelle aussi la caresse de la main, joignant d’une façon particulière l’haptique à l’optique : regard et toucher ici doivent se garder de toute intrusion brutale. Ils doivent être effleurants, plutôt que prédateurs.
C’est là, me semble-t-il, un besoin constant. On ne peut pas toujours regarder les choses en face, ni le soleil par exemple et ni la mort. Alors on regarde de façon oblique, biaisée. Et le langage sert à tous ces voilements : les périphrases, qui tournent autour du sujet (periphrazein) ; les euphémismes, qui l’édulcorent et l’embellissent pour supprimer ce que son évocation directe peut avoir de dangereux. Parfois les deux se combinent. Ainsi la longue et douloureuse maladie remplace le crabe...
Bien sûr ces procédés qui tamisent le réel sont des mensonges, pour qui s’efforce de le voir vraiment. Bien sûr ils constituent une doxa, au service de la société, et transmise par l’éducation : la victime non consentante de la guerre devient un héros glorieux, le champ d’horreur devient le champ d’honneur, etc. Voilement : le voile ment.
Mais enfin, d’un autre côté, pourquoi vouloir parler cash, et que serions-nous sans tous ces filtres magiques ? Est-on amoureux ? Voici que se pressent tous les euphémismes de la passion, par quoi chaque défaut objectif devient une qualité. Et sans doute avons-nous raison d’embellir ainsi ce qui n’est au fond que la pression, animale et interchangeable, du vouloir-vivre. Les voiles, passionnels ou autres, douent d’humanité notre séjour sur terre. Sans eux, nous sommes unidimensionnels.
Décidément, ne nous hâtons pas d’ouvrir ce rideau. Jouissons de ses volutes caressantes, avant que se referme celui du dernier acte, où pour toujours se finira la comédie et s’arrêtera la musique.