C |
ouple marchant sur la plage devant la mer. Cette légende semble s’imposer, neutre et objective apparemment. Pourtant elle n’a rien à voir avec une vision sensible : c’est une reconstruction intellectuelle.
Telle qu’on la voit dans cette photo, la mer se dresse verticalement devant la vue, comme un mur, un tableau peint, ou un rideau de scène devant lesquels se déplacent les marcheurs. Cet effet est dû au cadrage resserré et au téléobjectif, qui supprime la perspective. Ensuite seulement le mur pélagique vertical propre à la vision surprise cède la place à une étendue horizontale, par reconstruction de l’esprit, et ce qu’on voit est remplacé par ce qu’on sait. Telle est la perception logique, qui est un meurtre de l’impression première – et aussi très souvent de la poésie.
... Aussi me plais-je maintenant à voir poétiquement la mer : toute proche et le surplombant, elle veille sur ce couple que je me figure en connivence amoureuse. C’est une présence tutélaire et fidèle, grâce à laquelle il n’est plus isolé, mais mis en scène et protégé, avec la mer en décor. Son histoire participe ainsi de la vie universelle, et en acquiert plus de gravité, de densité.
Tout à l’heure ils quitteront le cadre, et redonneront à la mer sa force de présence non partagée, cosmique. Elle était avant eux, et sera après eux. Comme dans les films d’Antonioni, L’Avventura par exemple : quelques secondes avant que les acteurs entrent dans le cadre, et aussi quelques secondes après, le fond du paysage est filmé seul, comme pour signifier que si les histoires humaines sont fugitives, la nature qui leur sert de cadre est, quant à elle, éternelle.
Sortis du cadre, mes amoureux supposés seront en hors-champ. Leur souvenir seul flottera sur la mer, accompagnant peut-être encore un peu la trace de leurs pas sur le sable. Puis tout s’effacera. – Mais au moins ce jour-là n’ont-ils pas été solitaires : ils étaient entourés.