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es rayons obliques du soleil frappent-ils quelques brins d’herbe, et me voilà heureux. Peu de chose me suffisent, dira le lecteur. Tans pis ! Quand on se contente de peu de chose, un rien suffit. Et quand un rien suffit, on n’a pas besoin de grand-chose...
Sérieusement, je vois dans la splendeur de ces modestes instants quelque chose d’une éternité, même très éphémère. Car l’instant d’après, une seule minute ici, la lumière par quoi ces herbes sont magnifiées disparaîtra. C’est comme si l’éternité descendait sur terre, s’incarnait fugitivement en un divin avatar.
Le temps ordinairement nous engloutit, minute après minute, et l’incarnation de notre âme dans notre corps a toutes les couleurs d’un exil. À l’opposé de celle de la lumière, la descente de l’âme dans le corps (l’ensomatose) est une déchéance. Mais l’âme se souvient du lieu dont elle vient, et en reconnaît les marques et fragments, sous forme d’éclats lumineux. Ce sont signes qui jalonnent notre route, que du moins je me plais à reconnaître dans ces modestes théophanies.
Les yeux fermés, je peux les revoir, immédiatement comme images rémanentes éblouissant ma rétine, ou bien plus tard, comme souvenirs. Et je me plais aussi à me les rappeler par l’écriture, à quoi invite ici le graphisme de la photo. Le Buisson ardent, auquel cette dernière pourrait faire écho, n’a-t-il pas parlé à Moïse, et ces paroles n’ont-elles pas été retranscrites ?
Certains instants sont éternels, et l’écriture leur rend hommage, en se les remémorant et en les transmettant.