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otre vie est balisée d’injonctions et d’interdictions, signes de l’emprise sociale sur nos destins. Elles sont censées nous protéger, et sans doute le font-elles la plupart du temps. Ainsi la rampe d’escalier, qui empêche de tomber. Ou bien la barrière en bord de chaussée, qui sépare les piétons des voitures. Tous ces dispositifs sont théoriquement prévenants.
En dira-t-on autant de toutes les lois qui limitent notre liberté ? Cela dépend. Elles peuvent la garantir parfois, mais d’autres fois y faire obstacle. De toute façon, toute l’éducation mène à les intérioriser, à les intégrer comme naturelles, alors qu’elles ne le sont pas. Et ensuite nous fonctionnons protégés par toute une armure supposée prévenir nos chutes, et qu’on appelle en psychanalyse le Surmoi.
Nécessaire dans son intention, il peut cependant, quand il est trop opprimant, nous inhiber et nous faire passer à côté de notre vie. Je pense à ces victimes d’un dressage trop sévère, qui se contrôlent et comme on dit se retiennent toujours. Ainsi on leur dit qu’ils ne doivent pas pleurer, et ils deviennent pleins de larmes, ils se pleurent en-dedans, dangereux à secouer. À la fin, c’est un vrai lac de retenue, dont le barrage peut s’effondrer. Ainsi le savoir-vivre empêche-t-il de vivre.
Faut-il donc renverser les barrières ? Dans certains cas, oui. Quand leurs impératifs deviennent trop comminatoires, ou selon le mot d’un grand philosophe allemand, catégoriques. S’il est bon de se maîtriser, il est mauvais de trop le faire, car l’instinct en nous réclame sa part.
Mais au fait, une constatation étrange peut se faire quand on regarde cette photo : pourquoi est-elle désertée par les êtres humains ? Aucun signe ne s’y voit de leur présence, et ce vide métaphysique me fait penser à l’atmosphère de certains films d’Antonioni. Comme si, face à ce vide qui le disqualifie, le discours que je viens de tenir sur les barrières humaines n’avait plus lieu d’être...
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