Non, décidément, cela n’est pas juste. J’ai bien essayé pourtant, je me suis bien appliqué, j’ai tâché de mettre toutes les chances de mon côté, j’ai beaucoup travaillé, opiniâtrement creusé le sol de toutes les questions. Et j’étais plein de bonnes intentions, je respectais cette Institution dont je briguais un poste. Et voilà que lui, l’autre là, l’oisif, le paresseux, le nez-en-l’air, lui qui n’a rien fait de tel, qui même s’est contenté de venir après moi, de répéter mes démarches, de me copier, le voilà qui réussit ! De quel droit ? Et de quel passe-droit a-t-il bénéficié ? Sans doute c’était lui le chouchou, et la décision de le recruter était déjà prise, depuis toujours. À lui la belle vie, maintenant, et pour moi le mépris ! Je hais ce népotisme, cet arbitraire. Que fait-on du mérite des gens ?
Non, assurément, si tel est le sort réservé à ceux qui se donnent de la peine, je n’essaierai pas davantage. Cela n’a pas marché pour moi une fois. Il n’y a aucune raison pour que cela marche à l’avenir. Ce que je voulais je ne l’ai pas eu. Aucune reconnaissance pour mon application et mes bons soins. Je me suis heurté à un mur d’ingratitude. Découragé, la glace me renvoie mon visage : normal qu’il s’assombrisse, puisque tombe tout mon élan.
Tiens, voici la lettre de refus, de non-recevoir. Je l’ai reçue ce matin. Autant la mettre à la poubelle. – Voyons pourtant ce qu’elle dit, une dernière fois…
Si tu agis bien, ne te relèveras-tu pas ?*
* Genèse 4/2-7 : … Abel fut berger, et Caïn fut laboureur. Au bout de quelque temps, Caïn fit au Seigneur une offrande des fruits de la terre ; et Abel aussi en fit une des premiers-nés de son troupeau et de leur graisse. Le Seigneur porta un regard favorable sur Abel et sur son offrande ; mais il ne porta pas un regard favorable sur Caïn et sur son offrande. Caïn fut très irrité, et son visage fut abattu. Et le Seigneur dit à Caïn : « Pourquoi es-tu irrité, et pourquoi ton visage est-il abattu ? Si tu agis bien, ne le relèveras-tu pas ? … »
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Ce texte est extrait du tome I de mon ouvrage Fictions bibliques, édité chez BoD. Il est illustré de dessins originaux de l'artiste Stéphane Pahon. En voici la présentation en Quatrième de couverture :
Ce livre propose des libres lectures de passages bibliques. Elles servent parfois l'intention du texte initial, mais parfois aussi en problématisent le contenu, quand il n'a plus semblé admissible pour un esprit indépendant. L'appel à la sensibilité, propre à la littérature, permet de corriger ce que l'exégèse et la théologie traditionnelles peuvent avoir de dogmatique.
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