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Le blog artistique de Michel Théron
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Cruel embarras

Cruel embarras

D.R.

O

 

ui, Monsieur l’agent, je viens déposer une plainte pour harcèlement sexuel.

 

Rien dans l’apparence de la jeune fille ne laisse supposer une quelconque mythomanie. Il faut assurément la croire.

Malgré tout, le fonctionnaire se demande à quels faits précisément il a affaire. Par conscience professionnelle, il consulte, sur une étagère à son côté, le Code pénal, à l’article 222. Il s’agit d’une loi votée il y a vingt ans, qui définit le harcèlement de la façon suivante : le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle. À l’évidence, se dit-il, ce texte est un truisme. Définir le harcèlement comme le fait de harceler est tourner en rond. Et pareillement définir harcèlement sexuel comme harceler dans un but sexuel est une simple tautologie.

Pris dans toutes ces réflexions, l’agent embarrassé se dit qu’au mieux, ce texte n’a aucune précision : à le lire simplement, le citoyen n’est pas en mesure de savoir ce qu’il peut ou ne peut pas faire pour ne pas tomber sous le coup de la loi. Or cette connaissance est pourtant un des fondements de la Constitution. Alors ?

A-t-elle été victime d’attouchements, de caresses appuyées ? Mais ce fait constitue déjà un crime, au même titre que l’agression et le viol. Et a-t-on besoin de parler de harcèlement, lorsque les crimes sexuels sont déjà punis ? La notion de harcèlement sexuel risque alors d’être choisie par les juges pour déqualifier des crimes en réalité bien plus graves, et il y a danger de la minoration de la faute.

Mais il y a aussi, un danger symétrique, celui de sa majoration. Car à l’inverse, on pourrait faire entrer dans la catégorie de harcèlement sexuel des comportements tout à fait anodins, comme le fait de regarder quelqu’un de façon un peu appuyée : dévisager n’est quand même pas tout le temps envisager ! Ce peut même être au contraire dans certains cas un silencieux hommage rendu à la beauté, qui immobilise et sidère souvent, et bien des femmes seraient heureuses, il me semble, d’être ainsi harcelées. Quel regret peuvent-elles éprouver quand elles ne le sont plus ! Et si certaines se disent victimes de harcèlement, d’autres peuvent tout autant se dire victimes de discrimination !

Le pauvre policier voit le risque chez nous de succomber aux mœurs états-uniennes, où l’on est obligé de baisser les yeux et de raser les murs quand on croise une femme. Où on ne prend pas avec elle un ascenseur. Où on ne parle pas avec elle dans une pièce sans que la porte soit ouverte. Et aussi où on ne peut caresser la tête d’un enfant dans un jardin public de peur de passer pour un pédophile...

En vérité, songe-t-il, on devrait y regarder à deux fois avant de multiplier les lois : c’est bien assez parfois d’appliquer celles qui existent déjà.

 

Ne sachant que faire, un eurêka lui traverse enfin l’esprit, et le voici rasséréné.

– Revenez demain, dit-il à la plaignante. Vous rencontrerez mon supérieur hiérarchique qui sera mieux à même de vous recevoir...[i]

 

[i] En avril 2012, un ancien adjoint au maire de Villefranche-sur-Saône, qui a été également secrétaire d’État au Tourisme sous Valéry Giscard d’Estaing, a déposé devant le Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité concernant la loi punissant le harcèlement sexuel. Les Sages devaient se prononcer sur la conformité de cette loi avec la Constitution. Le motif invoqué par le requérant était que la notion de harcèlement sexuel est extrêmement floue.

 

***

 

Ce texte est tiré de mon dernier livre, paru chez BoD , Histoires vraies.

 

Ce sont  des petites fictions écrites à partir d'histoires véridiques, que l'on pourra trouver dans ma Petite philosophie de l'Insolite (BoD, 2021), et auxquelles on pourra si l'on veut se reporter.

 

Toujours bizarre, souvent cocasse, mais aussi parfois tragique, l'ensemble justifie il me semble la remarque d'Hamlet chez Shakespeare : « Il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre, Horatio, que n’en rêve votre philosophie. »

 

> Pour plus de renseignements sur cet ouvrage, et pour le commander sur le site de l'éditeur, merci de cliquer sur l'image ci-dessous :

 

D.R.

Ce livre est aussi disponible sur commande en librairie, et sur les sites de vente en ligne.