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Le blog artistique de Michel Théron
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Une obligation

Une obligation

P

 

ourquoi me délaisse-t-il depuis tant d’années ? Serait-ce qu’il ne m’aime plus ? Je le crains bien, à voir son peu d’empres­sement à me rejoindre dans notre chambre. Et aussi il s’endort tout de suite, après un machinal baiser. Je ne puis entendre que son ronflement. Ne suis-je plus désirable ? A-t-il une relation ailleurs ? Vraiment toute son attitude à mon égard, aussi bien ce qu’il fait que ce qu’il oublie de faire, est très blessante pour moi. Ce n’est pas ce que j’attendais d’un mari.

Mais je ne vais pas m’avouer vaincue. Il ne veut plus de moi ? Eh bien, je vais le lui faire payer, et le plus cher possible, encore !

*

Article paru dans la presse locale

À la suite d’un arrêt prononcé par la cour d’appel d’Aix-en-Provence, un homme a été condamné à verser 10.000 euros à sa femme pour avoir manqué à ses devoirs conjugaux pendant plusieurs années. La cour s’est appuyée sur l’article 1382 du code civil, qui prévoit que toute personne « qui cause à autrui un dommage » doit réparer ce préjudice.[i]

*

Enfin elle triomphait. Mais la partie n’était pas gagnée encore, car il avait interjeté appel.

 

*

 

Plaidoirie en appel de Maître T., avocat, après l’arrêt susdit condamnant son client (un extrait).

... en l’espèce, Monsieur le Juge, la chose est grave. Je vois là un signe manifeste de la judiciarisation croissante des affaires privées, l’intrusion très fâcheuse d’une instance tierce dans ce qui devrait ne relever que de la vie intime. Les problèmes qui découlent de ce jugement, s’il devait faire jurisprudence, sont sans nombre. Comment établira-t-on la culpabilité de l’incriminé en l’absence de témoins ? Faut-il mettre une boîte noire ou une caméra cachée dans toute chambre conjugale ?

J’entends bien que la pire offense qu’on puisse faire à une femme est de ne pas la désirer. Mais aussi combien de fois une épouse se refuse-t-elle à son mari, en prétextant migraine ou autre ! Et celui-ci peut avoir diverses raisons pour renoncer à son « devoir », la fatigue par exemple du travail qu’il consent parfois pour donner simplement des revenus à sa femme. Le problème du « Qui a commencé ? » est donc a priori insoluble, autant que les motifs véritables du plaignant. La justice ne peut entrer dans des contextes particuliers dont le nombre est infini, et en regard  desquels il est absurde de poser abstraitement un principe général.

Enfin qui ne voit que le « devoir conjugal » s’oppose absolument au « viol conjugal », qui depuis 1992 est légalement condamnable entre conjoints ? Qui empêcherait le violeur de sa femme de s’autoriser de son « devoir », pour s’exonérer de sa culpabilité, et transformer les derniers outrages en suprêmes honneurs ? Le devoir conjugal retournerait ainsi au droit de cuissage ! ...

*

Position défendue par le Ministère public
dans la même affaire

 

En vérité, Monsieur le Juge, Maître T. ne vous dira pas tout, et c’est dommage. Il ne faut pas oublier que le devoir conjugal, qu’il néglige très fâcheusement, a été instauré, comme le mariage dans son ensemble, pour favoriser et valoriser la reproduction de notre espèce, sans quoi aucune société ne peut vivre : il y a là une transcendance collective qui doit primer sur les aspirations individuelles. Où va-t-on, si on ne fait que suivre ces dernières ? Et si se perd ici, comme en bien d’autres domaines, la nécessité d’une obligation ?

 

*

 

Ces discours contradictoires ne pouvant rien éclairer, on attendit désormais le verdict de la Cour de cassation...

 

[i] Jugement révélé le 29 novembre 2011.

 

***

 

Ce texte est tiré de mon dernier livre, paru chez BoD , Histoires vraies.

 

Ce sont  des petites fictions écrites à partir d'histoires véridiques, que l'on pourra trouver dans ma Petite philosophie de l'Insolite (BoD, 2021), et auxquelles on pourra si l'on veut se reporter.

 

Toujours bizarre, souvent cocasse, mais aussi parfois tragique, l'ensemble justifie il me semble la remarque d'Hamlet chez Shakespeare : « Il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre, Horatio, que n’en rêve votre philosophie. »

 

> Pour plus de renseignements sur cet ouvrage, et pour le commander sur le site de l'éditeur, merci de cliquer sur l'image ci-dessous :

 

D.R.

Ce livre est aussi disponible sur commande en librairie, et sur les sites de vente en ligne.