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e ne te remercierai jamais assez. Après l’accouchement de ma pauvre femme, la flamme entre elle et moi s’était définitivement éteinte, quand tu m’es arrivée, toute neuve, délivrée comme un magnifique cadeau. Ma vie était désertée par la passion, et tu m’en as redonné le goût.
Tout me semblait terne et vide. Je croyais que tout était fini pour moi, qu’un monde merveilleux d’entente réciproque m’était désormais interdit, mais maintenant je le retrouve dans nos jeux amoureux. Quand mes mains se modèlent sur ton corps, tu en prends la forme. Quand tu t’animes sous mes caresses, il me semble que je te donne vie en retour, comme celle que Pygmalion insuffla à la statue Galatée née de ses mains.
Ne peut-on en effet donner vie à quelqu’un en le caressant ? Et inversement ne peut-on tuer quelqu’un en ne s’intéressant pas à lui : de possiblement lumineux, son visage devient terne et gris. Ne voit-on pas bien dans la rue si quelqu’un est aimé ou pas, à voir les traits de sa figure, ou au sens général de son allure ? Ceux qui me connaissent ont bien dû voir la métamorphose que tu as opérée en moi.
Désormais je t’insufflerai tout mon amour, tu seras ma confidente, je te ferai part de mes plus secrètes pensées, nous ne ferons qu’un, personne ne nous séparera.
Il me semble que tu m’appartiens plus profondément par ton silence même, qui réalise pour moi la plus parfaite possibilité de l’amour : l’absence totale de résistance, l’abandon complet à l’autre. Les mots séparent, et parfois sans aucun remède. Les malentendus pointent, et aussi les disputes. Mais le silence permet l’union parfaite de ceux qui s’aiment.
J’aime aussi voir ton immobilité. Fini le mouvement qui déplace les lignes ! Identique toujours à toi-même est ton corps. Le temps s’y suspend dans nos étreintes, et il me semble que nous y côtoyons l’éternité.
Je suis heureux qu’enfin, dans la maison familiale, nous partagions le même lit, la même chambre, dont j’ai interdit l’entrée à ma femme et à ma fille. C’est notre petit château à nous, où j’accueille pour toujours ma princesse...
... ma poupée.[i]
[i] Source : www.leparisien.fr, 30/06/2017 :
Lorsque la flamme s’est définitivement éteinte entre lui et son épouse, après l’accouchement de celle-ci, Masayuki Ozaki, un Japonais de Tokyo, kinésithérapeute de 45 ans, a acheté, pour combler le vide, une poupée en silicone, devenue depuis l’amour de sa vie. De grandeur nature et d’un réalisme confondant, elle partage son lit dans la maison familiale, où habitent aussi sa femme et sa fille adolescente.
L’article précise que nombre d’hommes qui possèdent au Japon de telles poupées, appelées rabu doru (love dolls), ne voient pas en elles de simples objets sexuels mais véritablement des êtres à l’image des humains, qu’ils entourent de soins quotidiens.
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Ce texte est tiré de mon dernier livre, paru chez BoD , Histoires vraies.
Ce sont des petites fictions écrites à partir d'histoires véridiques, que l'on pourra trouver dans ma Petite philosophie de l'Insolite (BoD, 2021), et auxquelles on pourra si l'on veut se reporter.
Toujours bizarre, souvent cocasse, mais aussi parfois tragique, l'ensemble justifie il me semble la remarque d'Hamlet chez Shakespeare : « Il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre, Horatio, que n’en rêve votre philosophie. »
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