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e Maire – Donc notre délibération aujourd’hui porte sur le fait suivant :
Des administrés se sont plaints de ce qu’une statue de la Sainte Vierge figure sur un rond-point de notre commune situé chemin de la Radasse. Ils ont été choqués apparemment dans leurs convictions religieuses. C’est pourquoi j’ai invité Monsieur le Curé, ainsi qu’un professeur retraité de l’Enseignement public, connu de beaucoup d’entre nous et résidant dans notre commune, à se joindre à nous pour éclairer cette affaire. Mais d’abord il convient d’expliquer ce mot de Radasse, que tous peut-être ne comprennent pas. À vous, monsieur le Professeur.
Le Professeur – Ce mot vient de rade, trottoir. Il signifie une prostituée de bas étage, celle qui fait le trottoir.
Le Maire – Merci. On voit bien en quoi certains ont été choqués dans cette affaire. Maintenant qu’en pense l’assistance ?
Premier Adjoint – Il n’y a qu’à débaptiser le chemin.
Le Maire – Vous ne savez pas combien c’est difficile, tout ce qu’il faudra modifier, remettre en question. Les voies de la voirie sont impénétrables...
Le Professeur – ... comme celles de Dieu.
Le Curé – Pas de raillerie, s’il vous plaît.
Le Maire – Ne pourrait-on transporter la statue ailleurs ?
Le Fonctionnaire de l’Équipement – On pourrait la déplacer chemin Notre-Dame-des-Anges. Elle se trouvera peut-être mieux dans ce chemin au nom plus approprié.
Le Maire – C’est bien embarrassant. Mais Monsieur le Professeur demande la parole.
Le Professeur – Avant de venir à ce conseil, j’ai fait une petite enquête, au terme de laquelle je pense qu’on pourrait tout à fait laisser la statue où elle est.
Le Maire – Et pourquoi donc ?
Le Professeur – Il faut savoir que selon une certaine tradition juive, peu amène évidemment vis-à-vis de la chrétienne et attestée dans le Talmud, Jésus n’aurait été qu’un bâtard, fils d’un centurion romain nommé Pantheras, la Panthère. Marie aurait donc été une fille-mère, mal considérée évidemment au même titre que celles qui font le trottoir : « radasse », prostituée de bas étage, vient de « rade », trottoir – comme je l’ai indiqué.
Le Curé – Je vous prie, Monsieur le Maire, de faire taire les interventions inopportunes de cet individu.
Le Professeur – Mais c’est un fait que dans l’évangile de Marc Jésus est appelé simplement « fils de Marie » (6/3) : c’est donc un enfant naturel, puisque dans la tradition juive le nom se transmet par le père.
Le Curé – Soit. Mais c’est maintenant à mon tour. Je connais bien ces insinuations. En réalité Pantherou, fils de la Panthère, est une corruption de Parthenou, fils de la Vierge. – Triomphant, vers le Professeur. Il faut savoir ce que l’on dit !
Le Professeur – (au Curé) – Mais alors je vous fais ici une autre remarque. Pourquoi la Vierge Marie, si l’on adopte le dogme catholique, ne pourrait-elle pas intercéder elle-même pour une fille perdue ? Jésus lui-même n’a-t-il pas pardonné à la pécheresse repentante, parce que ce faisant « elle a beaucoup aimé » (Luc 7/47) ? La statue posée sur le chemin incarnant la perdition pourrait en montrer le rachat et la fin possibles. Il y aurait là un beau symbole, et vos paroissiens pourraient trouver, avec un peu d’imagination, une occasion de méditation profonde.
Le Maire – Merci pour tous ces commentaires. Revenons pourtant sur terre. Nous devons prendre une décision. Déménageons donc la statue au chemin Notre-Dame-des-Anges, selon ce qu’a dit le Fonctionnaire de l’Équipement.
Le Fonctionnaire de l’Équipement – Elle sera mieux là-bas, mais je vous préviens qu’elle se verra moins bien.[i]
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Suite des aventures de cette statue :
Sur la requête d’une association varoise laïque, le tribunal administratif de Toulon a validé la demande de retrait de la statue de la Vierge sise Chemin Notre-Dame des Anges, sur le domaine public de la commune de Cogolin : lien.
A suivre...
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Le texte Conseil municipal ci-dessus est tiré de mon dernier livre, paru chez BoD, Histoires vraies.
Ce sont des petites fictions écrites à partir d'histoires véridiques, que l'on pourra trouver dans ma Petite philosophie de l'Insolite (BoD, 2021), et auxquelles on pourra si l'on veut se reporter.
Toujours bizarre, souvent cocasse, mais aussi parfois tragique, l'ensemble justifie il me semble la remarque d'Hamlet chez Shakespeare : « Il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre, Horatio, que n’en rêve votre philosophie. »
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