Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog artistique de Michel Théron
Le blog artistique de Michel Théron
Menu
Câlins

Câlins

D.R.

I

 

ls pensaient que tout le monde a besoin de caresses, et au premier chef leurs enfants, qu’on pouvait ainsi mieux combler affectivement, et aussi s’attacher par ce moyen. Elles calment qui les reçoit. Qui n’a éprouvé, même adulte, comme dit Depardieu à Michel Blanc dans Tenue de soirée de Bertrand Blier, l’envie de se blottir ?

Aussi furent-ils exaucés en voyant sur Internet l’existence d’un gilet à câlins, télécommandable. Une vidéo en expliquait le fonctionnement. Le gilet, une fois gonflé, est traversé d’un mécanisme vibrant et massant connecté à une application activée sur Smartphone. Lorsque l’enfant est angoissé, le parent le rassure à distance en pianotant sur son appareil, et le voilà, à l’image du gilet qu’il porte, tout regonflé.

L’adulte par ce stratagème pouvait trouver une compensation à son absence physique, ainsi qu’une atténuation de sa propre culpabilité. Ce dispositif remplaçait avantageusement la télévision-nourrice, qui permet aux parents de vaquer tranquillement à leurs occupations quand les enfants la regardent. Ou aussi la localisation constante de l’enfant par GPS, lien permanent et rassurant qui tel une laisse unit le parent à sa progéniture, et satisfait son désir d’omniscience.

Engagé dans cette voie, le couple imaginait d’autres stratagèmes également performants, permettant par exemple de sous-traiter les tâches éducatives, et de dispenser les parents d’un contact réel et effectif : pourquoi l’enfant ne pourrait-il voir aussi, par un dispositif approprié (lunettes type webcam), sa maman qui le câline de loin ?

Lui se souvenait d’avoir lu qu’en Chine des lampes « communicantes » sont destinées à surveiller le travail des enfants faisant leurs devoirs, munies d’un dispositif qui les réveille s’ils viennent à s’endormir. Quand arriveront-elles chez nous ?

Qu’il est donc beau ce nouveau monde, ce meilleur des mondes ! Enfin l’utopie se réalisait d’un univers facile, où les inconvénients d’une présence active étaient remplacés par les avantages d’une ubiquité sans risque aucun procurés par l’informatique.

Tout à leur enthousiasme, ils ne cessaient d’évoquer d’autres dispositifs pouvant pallier leur absence.

 

*

 

Un jour pourtant, comme ils faisaient part de leurs découvertes et initiatives à un de leurs amis, ils furent surpris de sa réaction.

D’abord il leur représenta que dans leur façon d’éduquer leurs enfants ils voulaient surtout se rassurer eux-mêmes, plutôt qu’eux. Ils faisaient bon marché de la liberté qu’on devait de toute façon leur accorder. Pourquoi vouloir les tenir perpétuellement en laisse ? Vos enfants, leur disait-il, ne sont pas vos enfants. Ils naissent bien de vous, certes, mais doivent s’envoler loin de vous, vivre de leur vie autonome.

... Mais le père n’était pas d’accord, parlait des cauchemars qu’ils faisaient, de leurs peurs, qu’il fallait bien apaiser !

– Pas forcément et pas toujours, répondit l’ami. Les peurs et les angoisses n’ont pas toujours à être niées, car elles peuvent faire mûrir une personnalité, et pour plus tard la structurer.

Et à la mère, qui objectait alors le besoin charnel des caresses :

– Besoin charnel, oui. Mais pas virtuel. Rien ne remplace le contact et la chaleur d’une vraie peau, les vibrations qu’elle suscite. Dans notre culture des écrans, qui font écran entre la vraie vie et nous, nous avons perdu le sens du toucher humain. L’optique a remplacé l’haptique...

Et à tous les deux ensemble :

– Votre utopie est une dystopie. La tendresse à distance, externalisée, est une imposture, qui nous exonère à peu de frais de notre tâche affective. Pygmalion a animé Galatée sous ses caresses, et Cupidon Psyché, et ce n’était pas à distance, avec un gilet à câlins ! Cela n’avait rien à voir avec cette prétendue réalité augmentée d’aujourd’hui, qui est en vérité une totale déréalisation.

On verra bien, conclut-il, si malheureusement survient dans le futur une crise sanitaire, que les discussions par webcam ainsi que le travail à distance qu’elle nécessitera ne sont pas des vrais contacts. Certes nous ne connaissons encore rien de tel, mais j’en prends le pari dès maintenant...[i]

 

[i] Gilet à câlins : www.mytjacket.com.

***

 

Ce texte est tiré de mon dernier livre, paru chez BoD , Histoires vraies.

 

Ce sont  des petites fictions écrites à partir d'histoires véridiques, que l'on pourra trouver dans ma Petite philosophie de l'Insolite (BoD, 2021), et auxquelles on pourra si l'on veut se reporter.

 

Toujours bizarre, souvent cocasse, mais aussi parfois tragique, l'ensemble justifie il me semble la remarque d'Hamlet chez Shakespeare : « Il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre, Horatio, que n’en rêve votre philosophie. »

 

> Pour plus de renseignements sur cet ouvrage, et pour le commander sur le site de l'éditeur, merci de cliquer sur l'image ci-dessous :

 

D.R.

Ce livre est aussi disponible sur commande en librairie, et sur les sites de vente en ligne.