Une énigme

ssurément cette photo montre le mauvais goût des propriétaires du jardin, et porte condamnation de son sujet. Sans doute sont-ils heureux et satisfaits, pour avoir ainsi fièrement exhibé sur leur pelouse leur nain en plastique, symbole évident du kitsch...

... Et pourtant, chez lecteur surpris, c’est ma maison, mon jardin, et mon nain. Une photo peut être menteuse si on la ressent d’une seule façon, et complexe si on la voit autrement. Elle peut avoir divers niveaux de lecture, exactement comme un texte peut avoir un sous-texte.

Au premier niveau ou au premier degré, le nain est ridicule, par l’ambition qu’il a de rappeler à son possesseur urbain la forêt sauvage. Dérisoire ornement de plastique, fabriqué industriellement, pour flatter le misérable propriétaire d’un jardinet ! Symbole aussi d’une vie morne, sans passion ni excès, entièrement ordonnée au qu’en-dira-t-on ? Et surtout satisfaite d’elle-même, confondant l’émotion vraie avec l’attendrissement facile. – Aucune circonstance atténuante. Condamnation sans appel.

Deuxième niveau ou deuxième degré. Et si ce nain m’avait été donné par une personne chère et naïve, le condamnerais-je autant ? D’une personne aimée on chérit, dans ses messages, jusqu’à ses petits cœurs et ses fautes d’orthographe. On se rit du kitsch quand on est froid et raisonneur, mais on l’aime quand on est ému.

Ou bien si mon nain venait d’étudiants comme un cadeau de fin d’année scolaire, par connivence et allusion à tout ce que je leur avais dit du kitsch ? C’est bien le cas pourtant. Et je l’ai disposé sur ma pelouse en leur honneur et souvenir. Alors, pris au second degré, le kitsch peut s’afficher. Quand on n’en est pas dupe, il devient camp, s’exhibe avec un clin d’œil qui suffit à le sauver.

Maintenant je laisserai à leur condamnation les esprits simples qui ne voient pas ici l’énigme. C'est bien dommage...

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Pour approfondir, on peut lire mon ouvrage sur le kitsch :