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essentiel d’une photo est son cadrage. Il détermine ce qu’il a éliminé du sujet et de son voisinage, son hors-champ, et aussi inversement ce que, ce faisant, il a valorisé. Ici manifestement ce sont au premier plan les montants d’une première croix, la deuxième étant rapetissée du fait de son éloignement, et il en est de même pour le personnage qu’elle porte. Cet effet de perspective accélérée est dû à l’objectif grand angle.
La photo a été prise au Calvaire de Font-Romeu, dans les Pyrénées Orientales. Vu « normalement », de face, il présente le Christ en croix, flanqué de chaque côté de deux croix plus petites destinées à porter les deux larrons du récit évangélique, qui ne figurent pas sur la scène.
J’ai bien conscience qu’exiler ainsi dans un angle de ma photo le Sauveur crucifié des chrétiens peut m’attirer la réprobation de certains d’entre ces derniers. Peut-être diront-ils de l’image qu’elle est blasphématoire, car on n’a pas le droit de changer la perspective (c’est le cas de le dire) d’une scène très connue. L’art, la création, ont des limites à ne pas franchir. On ne fait pas de recherche esthétique avec des monuments spirituels.
À quoi je pourrais répondre qu’aucune image, aucun texte ne sont des blasphèmes, puisqu’ils ne contiennent en aucun cas ce qu’ils évoquent : ils ne font que le représenter, le rendre présent à l’esprit, et non pas le reproduire. Ni l’image d’un chien ni le mot chien ne mordent.
Mais plus profondément je crois que le point de vue que j’ai choisi ici peut exprimer mon agnosticisme. Pour moi le récit de la Passion s’éloigne comme en abyme dans la mémoire et le mythe. Mais qu’il ait été inventé, au double sens du mot (trouvé ailleurs, dans le Texte sacré, et ensuite imaginé par son narrateur) n’en supprime pas l’intérêt humain. Mieux, comme tout mythe vivant, il nous parle. Et peut-être ce Christ rendu tout petit à la face du ciel immense montre-t-il mieux l’esseulement, la déréliction auxquels l’a condamné le Père : Lama Sabachtani ? Pourquoi m’as-tu abandonné ?
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