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u’il est doux ce regard, et profond ! Aucun humain semble-t-il ne peut y atteindre. Vraiment les bêtes sont nos modèles, et c’est les calomnier que d’ignorer ce que veut nous dire leur langage silencieux.
Je t’ai vu naître, petit agneau, et j’ai vu aussi ton destin entre les mains des hommes : affronter la dure loi qui t’attend, promis que tu es au sacrifice final, pour complaire à leur désir et à leur vanité. Ils ont fait de toi un symbole, sur lequel ils ont reporté toutes leurs turpitudes, afin d’en être délivrés. Ton sacrifice, comme celui d’une victime expiatoire et volontaire, leur donne la preuve de leur rachat, et c’est ainsi qu’ils se figurent leur Sauveur. A
À ton image, il n’a pas protesté du destin qui lui était fait, déjà préfiguré dans un ancien texte. B Mais vraiment n’ouvriras-tu jamais la bouche à cette occasion ? Cela certes rassure les hommes de le penser. Mais est-ce vrai ? Ne vas-tu pas crier, te débattre ? Si c’est le cas, toute leur construction s’effondrerait. Ce serait comme si s’était débattu, à la vue du couteau, le fils sacrifié d’un Patriarche légendaire. C Rien de reste des meilleurs discours et des plus beaux mythes, devant l’horreur nue.
Sans doute les hommes doivent-ils mériter ton silence même, qui les réconforte. Et peut-être doivent-ils le bénir, s’il leur est accordé et leur procure la paix.
... Mais le prix à payer est fort cher. Tu aurais pu au contraire rester en vie, et c’était là ta chance de leur échapper. Car c’est mort qu’ils te veulent, pour se nourrir de ce que tu leur donnes. Vois ce qui se passe en effet : on ne mange que de la chair morte, et ce qui compte est la vie. Beaucoup vivent encore sans être vraiment vivants. Mais celui qui reste en vie, nul ne peut le dévorer, dans tous les sens de ces expressions. Il reste à l’abri, et il connaît paix et repos.
Je pense ici à ton frère, ou ton cousin dans une autre famille, assez éloignée de la tienne, ce qui est bien dommage. Lui aussi ne doit pas mourir, rester simplement en vie pour ne pas devenir cadavre, et pour ne pas être dévoré. D
Comme lui, rester en vie... Que peut-on souhaiter de mieux ? Et pourquoi n’en aurais-tu pas toi-même envie ?
A Jean 1/29 : Le lendemain, il [Jean-Baptiste] voit Jésus qui vient vers lui et il dit : « Voici l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. »
B Isaïe 53/7 : Ce sont nos souffrances qu’il a portées, c’est de nos douleurs qu’il s’est chargé. Et nous, nous l’avons considéré comme atteint d’une plaie, comme frappé par Dieu et humilié. Mais il était transpercé à cause de nos crimes, écrasé à cause de nos fautes ; le châtiment qui nous donne la paix est tombé sur lui, et c’est par ses meurtrissures que nous sommes guéris. Nous étions tous errants comme des brebis, chacun suivait sa propre voie ; et Yahvé a fait retomber sur lui la faute de nous tous. Il a été maltraité, il s’est humilié, et n’a pas ouvert la bouche ; semblable à l’agneau qu’on mène à la boucherie, à une brebis muette devant ceux qui la tondent, il n’a pas ouvert la bouche.
Actes 8/32 : Et voici le passage de l’Écriture objet de la lecture : « Comme une brebis que l’on conduit pour l’égorger, comme un agneau muet devant celui qui le tond, c’est ainsi qu’il n’ouvre pas la bouche. »
C Genèse 22/10.
D Évangile selon Thomas, logion 60 : Ils virent un Samaritain emmenant un agneau et entrant en Judée. Il [Jésus] dit à ses disciples : « Pourquoi celui-ci tourne-t-il autour de l’agneau ? » Ils lui dirent : « Pour le tuer et le manger. » Il leur dit : « Aussi longtemps qu’il vit, il ne le mangera pas, sauf s’il le tue, et qu’il devienne un cadavre. » Ils dirent : « Autrement, il ne pourra pas le faire. » Il leur dit : « Vous-même cherchez un lieu pour vous dans le repos, de peur que vous ne deveniez cadavre, et que l’on ne vous mange. »
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Ce texte est extrait du tome I de mon ouvrage Fictions bibliques - La Bible revisitée, édité chez BoD. Il est illustré de dessins originaux de l'artiste Stéphane Pahon. En voici la présentation en Quatrième de couverture :
Ce livre propose des libres lectures de passages bibliques, présentées sous forme de petites fictions.
Elles servent parfois l'intention du texte initial, mais parfois aussi en problématisent le contenu, quand il n'a plus semblé admissible pour un esprit indépendant.
L'appel à la sensibilité, propre à la littérature, permet de corriger ce que l'exégèse et la théologie traditionnelles peuvent avoir de dogmatique.
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