Anomalies et dilapidations

N

ul chemin n’est sans risque. Bien sûr on voudrait qu’il soit bien aplani, pour que le pied n’y bronche pas. Mais ici ce n’est pas le cas. Et la marche doit être appliquée et précautionneuse, aussi bien en promenade que dans la vie.

Sachons donc où mettre nos pieds. Calculons la distance de chaque pas, en fonction de l’anomalie du sol. Sinon, à l’image même de ces pierres aléatoires, la marche sera vouée à la dilapidation.

Il en est de même pour les opérations de notre esprit. Chaque instant, chaque situation qu’il peut affronter sont parfaitement uniques, en rien comparables à d’autres appartenant au passé, et en rien utilement reproductibles dans l’avenir, car tout aussi y sera unique. Essayons donc de les apprécier comme sans référent et sans descendance.

Une opinion, quelle qu’elle soit, n’a de sens que dans un certain contexte : en-dehors de ce dernier elle n’en a aucun. Que si telle ou telle idée nous vient à l’esprit, ne discutons pas de sa vérité, mais seulement de sa validité dans une situation qu’il sera passionnant de chercher – rien de plus.

Comme telle pierre du chemin offre telles zones de lumière et d’ombre, étant ainsi disposée avec ses voisines et à cette heure du jour précise seulement, ainsi telle idée qui nous vient n’est vraie ou plutôt valable que dans le contexte où elle se présente dans notre esprit. L’instant d’après, le contexte ayant changé, elle ne le sera plus.

Je sais bien qu’un prophète juif, qui a été divinisé au fil du temps, a prétendu être la vérité. Mais je suis plutôt de l’avis du préfet romain qui lui a répondu : « Qu’est-ce que la vérité ? ». Car en général il n’est de vérité que de contexte, et au nom de la vérité que de crimes ont été commis dans l’Histoire !

Il y a là une leçon de grande tolérance. Il est absurde pour les hommes de se massacrer pour des opinions, car celles-ci sont toujours vouées au changement. À part quelques grandes valeurs personnelles et universalisables, ce qu’on a pensé un jour, demain on ne le pensera plus. Merci donc au chemin pierreux et au hasard de ses lumières de me l’avoir rappelé !

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Ce texte est tiré de mon livre Quand parlent les images, publié chez Amazon (2025), et commandable sur son site :