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es hommes sont paresseux, distraits et approximatifs, et pour s’excuser de ne pas voir vraiment ce qui les entoure, ils ont inventé les beaux sites, seuls dignes à leur sens d’être contemplés, et devant lesquels alors ils se gargarisent de mots. La carte postale qu’ils en rapportent les dispense de voir le reste.
Mais ce reste est inépuisable. Rien n’est banal si on sait bien voir les choses, jeter sur elles un regard charitable, et ainsi les arracher au néant.
Ainsi la lumière et la chaleur d’une lampe, avec un jeu de clair-obscur et de reflets, qui s’y intéresserait sauf un oisif rêveur ? Mais ce rêve je crois en vaut bien d’autres, qui peuvent mener à l’abîme ceux qui s’y donnent. Au moins celui-ci prodigue-t-il une protection sans vertige ni déséquilibre.
Notre expression de nature morte est désobligeante. L’anglais en a une bien meilleure : still life – vie silencieuse. Effectivement les objets inanimés ont vraiment une âme. Avec eux nous sommes en symbiose et en osmose. La lampe tutélaire et vivante veille sur nous, comme même le dit le langage : une veilleuse. C’est une présence attentive. Songeons à l’enfant qui naturellement animait toutes choses : de cet animisme primordial nous sommes les héritiers.
Quand s’éteint autour de nous la vie furieuse, alors peut s’éveiller la vie silencieuse. On ne peut pas toujours lutter, poursuivre des projets dont le résultat déçoit, des buts dont l’obtention montre qu’ils étaient totalement chimériques. Il faut savoir s’arrêter – anangkè stènai.
L’arrêt salutaire peut se faire pour le promeneur sur le chemin qu’il suit. Mais aussi pour le contemplatif dans tel endroit de sa maison. Tout cela nous appartient déjà. On ne peut pas passer sa vie à espérer autre chose que ce qu’on a.
Sachons donc nous appartenir, ce qui est nous tenir à part, avec des plages de solitude. Et aussi nous recueillir, ce qui est nous cueillir à nouveau, nous retrouver, ainsi qu’accueillir en nous, comme l’Essentiel, ce reste si souvent méprisé.
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Ce texte est tiré de mon livre Quand parlent les images, publié chez Amazon (2025), et commandable sur son site :