Éternel retour I

e me souviens des étés de mon enfance, avec leur despotisme accablant, leurs canicules débilitant âmes et corps, et condamnant à la paralysie. Et aussi de cette implacable lumière zénithale qu’ils nous prodiguent, dont il est nécessaire de se protéger par volets et portières. Ma photo en donne peut-être quelque idée.

Ce que j’en dis surprendra sans doute le touriste septentrional, qui accourt tous les ans chez nous pour s’exposer au dieu Soleil. Peut-être aussi ne comprendra-t-il pas qu’on puisse être si attaché, comme nous le sommes, à une région qui dispense périodiquement une atmosphère si redoutable, destinale, tragique au fond.

Eh bien, il faut l’instruire. On peut redouter et aimer à la fois la même chose. Tel, pour moi, mon soleil du Midi. Je le crains et pourtant lui suis très fidèle. Au point que, lorsque l’été se termine, j’éprouve une certaine mélancolie à l’idée de sa disparition. Mais cet état n’est pas sans charme, et suscite chez moi une certaine douceur...

... Pourquoi cela ? Je regarde à nouveau ma photo. Je l’ai prise chez moi il y a peu, mais l’atmosphère qui s’en dégage me fait penser à celle de mon enfance, dans un autre lieu. C’étaient les mêmes lumières et les mêmes ombres. Alors une illumination se fait en moi.

Je me dis que l’été d’aujourd’hui a déjà existé, ailleurs et il y a bien longtemps. Et aussi que l’année prochaine il y en aura un autre, tout identique. Alors la terrifiante irréversibilité du temps disparaît, et avec elle la différence des lieux, et je m’ac­coutume, réuni à l’enfant que j’ai été, à attendre la nouvelle venue de quelque chose que j’ai déjà connu. Je m’ouvre enfin à l’Éternel Retour :

Et l’été reviendra ramenant ses torpeurs         
Éblouissant nos yeux de ses jets de lumière,  
Un an s’ajoutera au compte de nos cœurs      
Avec nos souvenirs gravés sous nos paupières...

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 Ce texte est tiré de mon livre Quand parlent les images, publié chez Amazon (2025), et commandable sur son site :