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l y a beaucoup d’orgueil, aussi et d’irréflexion, à penser que l’on est soi-même un être unique et immuable. Car on change toujours, non seulement d’année en année, mais de jour en jour, et même d’heure en heure. En fait si nous voyons changer les autres, nous ne voyons pas nous-mêmes que nous changeons. Et notre moi n’est qu’une addition d’une infinie quantité de mois, tous différents les uns des autres.
Pouvons-nous donc avoir de nous une autre image que des reflets grimaçants et dansants sur la surface de l’eau, changeant de forme au moindre souffle du vent ? Rien de plus.
Il y a bien longtemps, Héraclite a dit que tout s’écoule, et qu’on ne se baigne jamais deux fois dans un même fleuve. De la même façon Bouddha a toujours parlé de l’impermanence comme d’une loi fondamentale de la vie, à côté de celle de l’enchaînement causal.
L’idée est irréfutable. Pour en avoir une image, songeons que dans cent ans à peu près tous les humains qui vivent aujourd’hui sur la surface de la terre auront disparu. Ainsi donc, tout change et tout passe. Au fond, il n’y a qu’une chose qui ne change pas : c’est le changement lui-même.
Il faudrait donc ne pas s’agripper à la vie en voulant l’immobiliser, ce qui est une illusion, mais adhérer à l’écoulement universel. Suivre le mouvement général ou la propension des choses, lâcher prise et se laisser porter par le courant. Soyez passant !, dit Jésus dans l’Évangile selon Thomas. Pratiquement, cela veut dire qu’il faut apprendre à vivre avec une distance constante par rapport à ce qu’on vit et pense :
Grimace le monde
Reflété sur l’onde.
N’est nulle demeure
Qui un jour ne meure.
Ne se peut tenir
Ce qui doit périr.
Et tout n’est que songe
À jamais mensonge…