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raiment on ne pouvait savoir ce qu’il pensait, pas plus que prévoir ce qu’il allait dire, tant ses revirements étaient fréquents, et si importants... Moi seul, moi son ami secret, essayais de le comprendre, mais sans succès.
Voyez. Il commença par prêcher l’amour inconditionnel d’autrui, soit en se situant dans la droite ligne de la tradition qu’il reprenait simplement, soit en disant qu’il apportait, ce faisant, un commandement nouveau. A Mais était-il tout nouveau, vraiment ? Quelle en était la différence avec l’ancien ?
Souvent il se disait doux et humble de cœur, voulant apporter le repos aux hommes. B Quoi de plus beau en effet pour ces êtres souffrants que nous sommes dans nos pauvres vies ? C’est en lui ce que j’aimais, tout en appréhendant que cela parût aux hommes brutaux une marque de faiblesse.
Il nous invitait à voir en nous-mêmes le Royaume qu’il prêchait. C Combien beau était ce conseil ! Car que peut-on espérer de mieux que de trouver en soi les ressources suffisantes pour affronter les périls de la vie ? Point n’est besoin de se mettre à la merci d’un guide extérieur, ou de se fondre dans l’anonymat d’un groupe, pour se diriger dans l’existence. Pourquoi chercher à l’extérieur de soi une lumière que l’on a dans sa main ?
Je remercie mon Maître de ne pas avoir voulu en être un pour ceux qui l’écoutaient. Son appel à voir l’Essentiel en eux-mêmes les a rendus à la liberté, les éloignant définitivement de tout groupe ou de toute Institution. Au moins pourrais-je espérer qu’il en sera toujours ainsi...
Et pourtant ces bienheureuses paroles de paix, il les a abandonnées en se mettant en colère. D Il a brandi le glaive, annoncé guerre et violence, et ses imprécations semblaient vouloir mettre le monde à feu et à sang. Je ne le reconnaissais plus.
Il a pris un nouveau visage, celui de la menace, promettant même le bûcher à ceux qui ne le suivaient pas. E Il a évoqué le Jugement qui attend les désobéissants, pour les terroriser. Mais peut-on tenir à la fois un langage d’amour et un langage de colère, voire de vengeance ? Où était son unité alors, et sa personne même, dans quel langage devions-nous le reconnaître ? Nous étions désorientés.
Et enfin est apparu son troisième visage : désormais non-violent, et non plus exalté, il a voulu courir au-devant du sacrifice, se laisser tuer comme un agneau, émissaire des péchés du monde. F Ceux mêmes qui voulaient l’épauler dans sa tâche n’ont rien compris à ce dernier revirement. Celui qui portait le fer et le feu dans le monde, voici qu’il décidait maintenant de déposer les armes, de mettre bas le glaive ! Par le glaive, disait-il, devaient périr ceux qui le portaient. G
Pour prendre cette dernière voie, il a semble-t-il lu un ancien texte de la Tradition, où il est dit qu’un homme écrasé de souffrances se laisse maltraiter sans ouvrir la bouche, pour racheter les fautes d’un peuple détourné de Dieu. H
Personnellement je ne sais si ce silence est possible, autant que celui d’un agneau réel dans la même situation. S’il se débat et crie, s’écroule toute cette paradoxale construction, qu’un de ses disciples obscur et vague, qui ne l’a jamais vu et à qui, à le croire, il est apparu, a élaborée le premier, et dont j’ai bien peur que beaucoup la reprennent dans l’avenir. I
... Ô vous qui m’écoutez, laissez-moi maintenant lui parler directement.
« S’il est vrai, ô mon maître, que tu as voulu ainsi mourir sans te défendre, permets-moi de n’y rien comprendre. Car pour ceux qui se réclameront de toi ton éloge du sacrifice légitimera la résignation, et invalidera la révolte. La frustration deviendra la norme. La société aura tout à y gagner, et chacun de nous, tout à y perdre. Il mourra au sein même de sa vie.
Pardonne-moi de douter du bien-fondé de ton dernier choix. Permets-moi de te rappeler ton évolution. Tu as été d’abord aimant, doux et humble, invitant à trouver l’essentiel au fond de nous-mêmes ; puis colérique, emporté et menaçant ; et enfin, au moins selon ton obscur disciple visionnaire, une victime expiatoire. Où et quand as-tu été toi-même ? Et ces changements si brusques se succèderont en seulement quelques lignes écrites par un qui se réclamera de toi, dans un passage dépourvu de toute cohérence. J
Je me souviens maintenant de ce qui s’est passé à la fin. Comme tu n’avais pas le courage de mener ton suicide à son terme, c’est moi qui t’ai aidé, en te trahissant comme ils disent. Mémorable baiser, sans lequel rien ne se fût produit qui changeât le futur ! J’ai été le marchepied qui t’a permis de t’élever. J’ai été maudit pour l’éternité. Je ne le regrette pas. Simplement j’aurais aimé que le sacrifice que j’ai consenti pour t’aider me permît d’y voir plus clair en toi.
Quoi qu’il arrive maintenant, je reste ton meilleur disciple, ton ami d’élection, ton affectionné
Judas...»
A Tradition : Lévitique 19/18 et 19/34 – Matthieu 19/19 et 22/39 ; Marc 12/31 ; Luc 10/27.
Commandement nouveau : Jean 13/34-35.
B Matthieu 11/29-30.
C Luc 17/20-21.
D Matthieu 21/12-13.
E Jean 15/6.
F Jean 1/29.
G Matthieu 26/51-52.
H Isaïe 53/3-7.
I 1 Corinthiens 15/3-4.
J Luc 17/20-25.
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Voir aussi, sur une nouvelle interprétation de Judas :
Confession d'un traître - Le blog artistique de Michel Théron
Cet extrait de mon livre "Fictions I - Libres lectures bibliques" réhabilite le personnage calomnié de Judas.
https://michel-theron.eu/2021/05/confession-d-un-traitre.html
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Ce texte est extrait du tome I de mon ouvrage Fictions bibliques - La Bible revisitée, édité chez BoD. Il est illustré de dessins originaux de l'artiste Stéphane Pahon. En voici la présentation en Quatrième de couverture :
Ce livre propose des libres lectures de passages bibliques, présentées sous forme de petites fictions.
Elles servent parfois l'intention du texte initial, mais parfois aussi en problématisent le contenu, quand il n'a plus semblé admissible pour un esprit indépendant.
L'appel à la sensibilité, propre à la littérature, permet de corriger ce que l'exégèse et la théologie traditionnelles peuvent avoir de dogmatique.
Pour plus de renseignements, pour en lire un extrait et commander le livre sur le site de l'éditeur, cliquer sur l'image ci-dessous :
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